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Maelström baroque

Lyon
Opéra National de Lyon
03/23/1999 -  et 25, 27, 29* mars 1999
Francesco Cavalli : La Calisto
Maria Bayo (Calisto, l’Eternité), Marcello Lippi (Jupiter), Marcel Boone (Mercure), Graham Pushee (Endymion), Sara Fulgoni (Diane, le Destin), Bernard Loonen (Lymphée), Dominique Visse (une Furie, un jeune Satire), William Matteuzzi (Pan, la Nature), Brian Bannatyne-Scott (Sylvain), Sonia Theodoridu (Junon), Robin Tyson (une Furie)
Concerto Vocale, René Jacobs (direction)
Herbert Wernicke (mise en scène, décors et costumes)

" Accepter, ce sera ne plus cesser de désirer " affirme Jean Starobinski dans Largesse. Et c’est bien ce qui semble se passer à l’écoute des opéras de la première moitié du grand siècle montés par René Jacobs. Ecouter La Calisto, ce n’est plus cesser de désirer un autre Cavalli. Ce don de voix forme le tissu même de l’oreille et de ses rêves. " Chants, c’est-à-dire charmes " souligna Michel Butor, il y a quelques années, lors d’une conférence à la Villa Gillet de Lyon. Merveille littéraire, mythologique, et musicale ; la Calisto est présentée ici dans la célèbre production du Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles. En 1993, la création de cette oeuvre de Cavalli avait produit le même état de grâce que l’Atys de Lully à Paris : on accourut de l’Europe entière pour découvrir cette féerie placée sous l’égide des Métamorphoses d’Ovide. De manière emblématique, Lyon se devait d’inviter ce spectacle : en effet, l’Opéra de Lyon fut inauguré en 1688 par la tragédie en musique de Lully et Quinault, Phaéton. Or, l’histoire de La Calisto commence là où finit celle de Phaéton : Zeus descend sur Terre pour sauver les hommes du brasier qu’a allumé Phaéton. Par hasard, l’Opéra Nouvel fut ouvert à nouveau, après plusieurs années de travaux, par la recréation de Phaéton en 1993, l’année de La Calisto de Bruxelles.

Les débuts de l’opéra sont marqués subrepticement par les forêts : Orphée charme des animaux, en 1639 le premier opéra représenté en Espagne est la " Selva del amore " (le livret est de Calderon) ; et c’est bien dans la forêt que vivent Diane et Calisto. Cette dernière, après s’être fait abuser par Jupiter transformée en Diane, est répudiée par la véritable Diane. L’amour de Zeus l’immortalisera dans le firmament (constellation de la grande Ourse). Dans cette aventure poétique, Zeus se fait le disciple d’une Tullia d’Aragona et l’objet de son désir s’incarne dans cette vierge, suivante de la déesse chasseresse. Cette nymphe, il la veut perpétuer. Cette nymphe, c’est Maria Bayo, subtile, vibrante, sensuelle. Bonne comédienne, ses vocalises sont à la fois articulées et fluides, son timbre projette sans problème, même du fond de la scène : elle irradie tout simplement la salle.

Zeus, sur une idée de Mercure, se métamorphose en Diane dont il prend également l’aspect vocal. Le baryton se mue en mezzo-soprane. Marcello Lippi réussit bien sûr avec brio à tenir les deux voix, sans se ménager dans le registre aigu où il déploie une certaine puissance. Ce rôle, de par cette transformation vocale, est typique de toute l’époque baroque qui joue à plusieurs niveaux sur la forme et ses travestissements, ses artifices. C’est dans cette voix de falsetto, ou voce finta, qu’il jouera parmi les plus beaux airs de la partition. Mais si Pic de la Mirandole et Vivès considèrent la métamorphose comme un bonheur (elle symbolise les puissances de l’individu, sa liberté), elle vaudra des démêlés conjugaux au Créateur : Junon n’apprécie pas que son époux prenne le domaine conjugal comme une conjugaison des apparences et des amours.

L’incroyable Dominique Visse, chanteur, acrobate, mime était inoubliable en jeune satyre. Ces personnages de commedia del’ arte sont sa spécialité, et on avait déjà pu l’admirer dans L’Argia de Cesti dirigée par René Jacobs (spectacle qui devrait passer au Théâtre des Champs Elysées à l’automne 1999). Pour ce qui est de l’autre countertenor Graham Pushee, si son médium est à la fois clair et étranglé, son timbre puissant ne l’empêche pas d’être musicien et de parfaitement coller à la nature mélancolique et lunaire d’Endymion.

La mise en scène met en relief l’aspect ludique que l’on peut trouver dans cette oeuvre, sans étouffer le théâtre. Entre trappes, fuites et soutes ; cieux et apparitions favorisaient un jeu d’une grande invention. Le décor clos, figurant une ancienne cartographie des constellations permettait tous ces artifices de l’envers mouvant du monde travesti. Les lumières participaient très habilement au découpage des scènes et à la compréhension dramatique.

L’orchestre du Concerto Vocale de René Jacobs est une fois de plus exceptionnel : les cornets improvisateurs et incroyablement virtuoses de Jean Tubery et William Dongois sont proprement époustouflants, dans le continuo efficace, profond et haut en couleur, on remarquera la viole poétique du fameux Juan Manuel Quintana et, par moment, le clavecin habile de René Jacobs lui-même. L’anagogie musicale de cette époque se plie au rythme du texte poétique, et c’est avec un grand sens de la diction que les continuistes soulignent tel ou tel accent. Avec un grand bonheur, le livret de Giovanni Faustini est émaillé, comme à l’époque, de musiques de Maurizio Cazzati, Antonio Cesti, Tarquino Merula, Johann Heinrich Schmelzer, Biagio Marini, Adam Krieger et Marco Uccelini que font résonner le concerto d’istromenti que forment les archiluth, violons, lirone, dulcian, flûtes, cornets, harpe et autre guitare baroque. Cet habillage, aussi rutilant que les magnifiques costumes des acteurs, n’altère en rien l’équilibre idéal entre récitatif et arioso du pur chef d’oeuvre de Cavalli.

Par la grande qualité de toutes les composantes de ce spectacle, c’était bien un véritable événement qu’offrait l’Opéra de Lyon. Mais à quand un autre opéra de cette période après Giasone, Xerse, Didone, Calisto ? Il est étonnant que René Jacobs soit le seul, à quelques rarissimes exceptions près, à recréer, car il s’agit bien d’une véritable création, des opéras italiens de la première moitié du XVIIe siècle.

Nous finirons avec Pierre Klossowski qui donne, dans Le bain de Diane, quelques clefs pour mieux comprendre le livret de Faustini : " Callisto est la fille de Lycaon, roi d’Arcadie, et la compagne chasseresse d’Artémis (1) séduite par Zeus, et disgraciée par Artémis qui constate sa grossesse au bain, elle est métamorphosée en Ourse par Héra (Junon), jalouse de cet adultère, puis élevée par Zeus parmi les constellations. (…) Enceinte de Zeus, Callisto donna le jour à Arcas (Arktos : l’ours). Cette légende semble rationnaliser un mythe obscur et plus ancien. En réalité, Lycaon ne serait que le Zeus lycien, honoré par les Arcadiens ; Callisto ne serait que la doublure d’Artémis Kallisté (" la plus belle ") que l’on vénérait sous ce nom en Arcadie. L’ourse étant l’un des fauves emblématiques d’Artémis (…), on pourrait déceler dans cette aventure l’obscure appréhension d’un attentat incestueux de Zeus sur sa propre fille Artémis. " (Gallimard, p. 109, 110).

(1) C’est-à-dire Diane



Frédéric Gabriel

 

 

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