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Le Philharmonique de Radio-France en technicolor

Paris
Théâtre du Châtelet
03/20/2009 -  
Nicolaï Rimski-Korsakov : Shéhérazade, opus 35
Igor Stravinsky : Le Sacre du printemps

Orchestre philharmonique de Radio France, Myung-Whun Chung (direction)


Myung-Whun Chung (© Jean-François Leclercq)



Le concert de cette soirée, à l’instar de celui prévu la veille mais annulé pour cause de mouvements sociaux, se voulait une célébration du centenaire de la création des Ballets russes par Serge Diaghilev (1872-1929) qui, bien que créés au cours de l’année 1907, donnèrent leur première représentation le 19 mai 1909, au Théâtre du Châtelet. Cette célébration fut surtout l’occasion d’entendre un orchestre exceptionnel pour un concert qui, sans nul doute, devrait longtemps rester dans la mémoire de ceux qui y assistèrent.


La première œuvre au programme est la fameuse suite symphonique, Shéhérazade, composé en 1888 par Nicolaï Rimski-Korsakov (1844-1908). On connaît l’histoire originelle : un roi de la dynastie des Sassanides avait deux fils. Un jour, l’aîné découvrit les extrêmes auxquels pouvait conduire la perfidie des femmes : saisi de colère, il décida immédiatement que chaque femme qui partagerait son lit serait désormais mise à mort le lendemain matin. Cet engrenage cauchemardesque ne prit fin qu’à compter du jour où la belle Shéhérazade, fille du grand vizir, eut l’idée de maintenir en éveil la curiosité du prince en lui racontant chaque soir une nouvelle histoire : ce sont, naturellement, les légendaires contes des Mille et une nuits… Ce récit fut donc mis en musique par Rimski-Korsakov : originellement, il devait s’agir d’une symphonie à programme mais le compositeur en changea l’orientation et l’œuvre prit rapidement la forme d’un ballet. Créé en 1910 avec Ida Rubinstein et Vaslav Nijinski dans les rôles principaux, ce fut une des grandes chorégraphies de Michel Fokine et un des grands succès des Ballets russes au cours de l’année 1910.


Indéniablement, Chung se souvient que Shéhérazade (qu’il a déjà enregistrée avec l’orchestre de l’Opéra Bastille chez Deutsche Grammophon) est une œuvre avant tout scénique, destinée au théâtre : à juste titre, il l’aborde donc comme une immense fresque où les images les plus diverses s’épanouissent sous les yeux de l’auditeur-spectateur. Dès le premier mouvement, « La Mer et le Bateau de Sindbad », l’orchestre expose le thème du prince avec violence, contrastant magnifiquement avec le violon solo d’Hélène Collerette, d’abord fébrile puis rapidement épanouie, qui illustre la grâce orientale de Shéhérazade. Les instrumentistes se lancent à corps perdu dans les envolées mélodiques où brille chaque pupitre, voire chaque instrumentiste (violoncelle solo, clarinette, harpe, hautbois…). La deuxième partie, « L’Histoire du prince Kalender », est la plus mouvementée de la suite : le rappel de l’héroïne féminine s’efface rapidement pour laisser le basson exposer le thème principal qui, tel un leitmotiv, est ensuite relayé par un hautbois en état de grâce avant que place ne soit laissée aux cordes. D’une grande souplesse, la gestique de Myung-Whun Chung, qui adapte parfaitement sa battue aux tempi requis par la partition, permet à l’orchestre de suggérer, selon les goûts et les interprétations de chacun, l’odeur et les couleurs du curry, du poivre et de l’encens, une lointaine caravane dans le désert ou quelque Génie soudainement sorti de la lampe dans laquelle il aurait été trop longtemps été tenu enfermé. Le tourbillon final est conduit avec une implacable maîtrise sans que la suavité de la partition n’en soit pour autant édulcorée. « Le jeune Prince et la Princesse » est la partie la plus joyeuse du récit décrit par Rimski-Korsakov : l’atmosphère nonchalante ressort notamment de la petite fanfare confiée à la clarinette puis à la flûte piccolo, accompagnées toutes deux du tambourin et de la caisse claire, entrecoupée par les élans des violons et des violoncelles. Toujours impeccable, le Philharmonique de Radio France charme à chaque instant par une poésie tout en finesse qui se conclut par un pizzicato en forme de véritable clin d’œil. La dernière partie, « La Fête à Bagdad, la Mer, le navire se brise sur les rochers », reprend plusieurs caractères déjà énoncés : le violon solo joue de nouveau le thème introductif, les tourbillonnements de l’orchestre que l’on avait déjà entendus au second mouvement sont exposés à la fois avec douceur et virtuosité par l’ensemble des musiciens. Dans un silence absolu, le violon d’Hélène Collerette clôt de la plus belle manière une première partie de concert tout à fait enthousiasmante.


Que n’a-t-on écrit sur Le Sacre du printemps ? Troisième ballet composé à l’attention des Ballets russes par Igor Stravinsky (1882-1971) après L’Oiseau de feu (1910) et Petrouchka (1911), le scénario de ce nouvel opus, appelé à devenir une des œuvres musicales emblématiques du XXe siècle, remonte à 1910. Stravinsky, aidé de l’archéologue et peintre Nicholas Roerich (1874-1947), a, on le sait, voulu ici illustrer les rites préchrétiens que pratiquaient certaines tribus slaves, à la fois imprégnées de chamanisme et de paganisme. Achevée en mars 1913, l’œuvre est créée avec fracas au Théâtre des Champs-Élysées en mai de la même année : le scandale est légendaire ! Chung empoigne l’œuvre avec toute la force que nécessite son interprétation : si, après la célébrissime (et superbe) introduction du basson, les clarinettes et le cor anglais se mêlent agréablement au jeu, ce sont surtout les cordes qui frappent l’auditeur, au propre comme au figuré ! En effet, les coups d’archets rageurs créent immédiatement un climat inquiétant rendu encore plus brutal par les interventions volontairement sèches des trompettes. Galvanisé par un chef qui a déjà eu l’occasion de montrer combien il aimait cette pièce, l’orchestre donne à nouveau la preuve de son excellence avec des interventions tirées au cordeau, réagissant au quart de tour, s’arrêtant net quand cela est nécessaire, passant sans rupture aucune du bucolique innocent au carnassier le plus inquiétant. La seconde partie du Sacre (« Le Sacrifice ») est baignée d’un climat étrange où, là encore (Walt Disney aidant ?), fleurissent à l’esprit quantité d’images suggérées par une partition dont on n’admirera jamais assez la profusion d’idées et l’élégance. La cavalcade introductive trouve rapidement son apogée dans le vrombissement des cors, l’ostinato des cordes et les répétitions confiées aux trompettes. L’envolée de la flûte et le coup de tonnerre conclusifs laissent le public abasourdi ; celui-ci offre un véritable triomphe à l’orchestre qui, en guise de bis, rejoue la fin de la première partie (« L’Adoration de la terre »).


Qu’on nous permette surtout, au-delà de l’excellence de l’interprétation, de souligner la joie que l’on a eue à voir le Philhar’, galvanisé par un Myung-Whun Chung des grands jours, manifester autant de plaisir à jouer lors d’un concert (les clins d’œil entre instrumentistes, les sourires de connivence, les petits gestes amicaux manifestés à l’occasion du solo de tel ou tel) : indéniablement un grand concert, on en redemande !



Sébastien Gauthier

 

 

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