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Mangez des pêches! Paris Opéra Comique 02/26/2009 - et 13, 15, 17, 19 (Rouen), 28 février, 2, 4, 6, 8 (Paris) mars 2009 Benjamin Britten : Albert Herring, opus 39
Allan Clayton (Albert Herring), Nancy Gustafson (Lady Billows), Felicity Palmer (Florence Pike), Hanna Schaer (Mrs Herring), Christopher Purves (Mr. Gedge), Ailish Tynan (Miss Wordsworth), Leigh Melrose (Sid), Julia Riley (Nancy), Andrew Greenan (Superintendant Budd), Simeon Esper (Mr. Upfold), Judith Derouin/Gaëlle Bakena Kodock (Emmie), Clémence Faber/Léonore Chapin (Cis), Joseph Sellembien/Oscar Sajous (Harry)
Orchestre de l’Opéra de Rouen-Haute Normandie, Laurence Equilbey (direction musicale)
Richard Brunel (mise en scène), Marc Lainé (scénographie), Claire Risterucci (costumes), Mathias Roche (lumières), Marc Chalosse (effets sonores)
(© Jean-Louis Fernandez)
Si, parmi les opéras de Britten, Peter Grimes, Le Tour d’écrou et, dans une moindre mesure, Billy Budd, Le Viol de Lucrèce, Le Songe d’une nuit d’été ou Mort à Venise sont entrés au répertoire, Albert Herring (1947) demeure en revanche dans l’ombre. Jérôme Deschamps a donc bien fait de le programmer salle Favart, en coproduction avec l’Opéra de Rouen-Haute Normandie, où il a déjà été présenté du 13 au 19 février.
Assez mal reçu à sa création, cet opéra-comique en trois actes consomma la brouille du compositeur avec le Festival de Glyndebourne, entraînant la sédentarisation de l’English Opera Group à Aldeburgh dès l’année suivante. Pour son deuxième opéra de chambre, quelques mois après Le Viol de Lucrèce, Britten recourt à un effectif réduit à treize exécutants (quintette à cordes, quintette d’instruments à vent, harpe, percussion et piano, ce dernier cantonné aux «récitatifs»). Mais il parvient à en obtenir des effets de masse tout en tirant parti de la souplesse d’un ensemble de solistes: une partition qu’on pourra donc difficilement tenir pour mineure ou même secondaire, d’autant qu’elle dure deux heures et vingt minutes, sans doute d’ailleurs au prix de quelques longueurs, et qu’elle requiert un nombre important de chanteurs (dix adultes, sans aucun «petit rôle», et trois enfants).
Adapté par l’écrivain Eric Crozier (1914-1994), le scénario s’inspire d’une nouvelle de Maupassant, Le Rosier de Madame Husson (1887). Par «rosier», il ne faut pas entendre l’arbre, mais le masculin de... «rosière»: faute de candidates féminines dignes du titre de «reine de mai», le jeune épicier Albert Herring se voit décerner ce prix de vertu que, s’opposant à la pression sociale et à l’autorité maternelle, il va s’empresser de dilapider, tant financièrement que moralement. Est-ce parce que le librettiste fut le metteur en scène de la création de Peter Grimes deux ans plus tôt? Toujours est-il que les deux ouvrages présentent des caractéristiques communes: un village de l’Angleterre profonde, ses notables satisfaits, ses rares habitants compréhensifs (Nancy et Sid évoquent respectivement Ellen Orford et Balstrode), son «marginal» contre lequel est engagé une chasse à l’homme vindicative. Et, comme souvent chez Britten, une société étouffant sous la bienpensance bafoue l’innocence et la pureté, d’autant plus paradoxalement ici qu’elle les glorifie. Mais, une fois n’est pas coutume, le bouc émissaire se rebelle, Albert finissant par jeter sa gourme et offrir à ses amis des pêches, symboles de ces péchés et plaisirs jusqu’alors inconnus de lui. La farce caustique – avec citation de Tristan lorsqu’il boit le «philtre» (l’alcool versé à son insu dans son verre de limonade) qui va libérer ses instincts – laisse donc place, à partir du second tableau du deuxième acte, à l’émotion, confirmant la remarquable versatilité d’un musicien décidément doué d’un sens dramatique hors pair.
Légère, malgré des changements de décors un peu laborieux, la scénographie de Marc Lainé montre l’aliénation d’un monde trop parfait pour être honnête – gazon impeccable, demeures identiques soigneusement alignées, fruits et légumes factices aux couleurs vives, costumes pimpants de Claire Risterucci – d’autant que, moyennant la transposition de l’action à notre époque, il est équipé d’impitoyables caméras de surveillance, dont l’une, fixée sur un mât porte-drapeau, projette en temps réel sur le rideau de scène l’image des maisons miniatures disposées en bord de plateau. La vidéo est également utilisée avec à-propos lors de la cérémonie de remise du prix, dont la captation apparaît sur un grand écran descendu des cintres. Ce n’est certes pas 1984, mais, sous les lumières franches de Mathias Roche, les sons froids et impersonnels créés par Marc Chalosse, machines électroniques, autres téléphones portables et, surtout, inquiétante horloge parlante, contribuent à une sensation vaguement angoissante. Alerte et efficace, la mise en scène de Richard Brunel glisse autant de peaux de bananes que nécessaire sous les pas de ces personnages pour la plupart confits dans leurs conventions hypocrites.
Presque intégralement anglophone, la distribution mêle célébrités (Nancy Gustafson, Felicity Palmer, Hanna Schaer) et découvertes, à commencer par Allan Clayton, idéal dans le rôle-titre. Tous les chanteurs sont au diapason de cette excellence, sous la direction énergique de Laurence Equilbey, à la tête des très performants solistes de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen.
Simon Corley
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