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Silence accusateur

Paris
Palais Garnier
01/24/2009 -  et 28, 30 janvier, 1er, 3, 5, 8 février (Paris), 13, 15, 16 mai (Wien) 2009
Philippe Boesmans : Yvonne, princesse de Bourgogne (création)
Dörte Lyssewski (Yvonne), Paul Gay (Le Roi Ignace), Mireille Delunsch (La Reine Marguerite), Yann Beuron (Le Prince Philippe), Victor von Halem (Le Chambellan), Hannah Esther Minutillo (Isabelle), Jason Bridges (Cyrille), Jean-Luc Ballestra (Cyprien), Guillaume Antoine (Innocent), Marc Cossu-Leonian (Valentin), les jeunes solistes, Rachid Safir (direction et préparation), Daniel Navia (préparation): Laurent David (Le mendiant), Lucile Richardot (Première tante), David Lefort (Seconde tante), Hélène Fauchère (Soprano solo), Marige-George Monet (Alto solo), Edouard Hazebrouck (Ténor solo), Jean-Christophe Jacques (Basse solo), Lucie Lacoste (Dame 1), Maryseult Wieczorek (Dame 2), Anne Marie Jacquin (Dame 3), Marie Picaut, Jean Klug, Maria Kondrashkova, Jean-Louis Paya, Jean-Sébastien Nicolas, Sébastien Brohier
Klangforum Wien, Sylvain Cambreling (direction musicale)
Luc Bondy (mise en scène), Richard Peduzzi (décors), Milena Canonero (costumes, coiffures et maquillages), Dominique Bruguière (lumières)


Année après année, les opéras de Philippe Boesmans (né en 1936) s’imposent au disque ou en vidéo mais aussi au répertoire des institutions les plus renommées – La Ronde (1993) sera d’ailleurs présenté du 17 au 19 février à l’Amphithéâtre Bastille dans une adaptation pour vingt-deux instruments réalisée par Fabrizio Cassol (voir ici et ici). Auparavant, il avait déjà donné La Passion de Gilles (1983) ainsi qu’une version du Couronnement de Poppée de Monteverdi (1989); il a poursuivi en 1999 avec Le Conte d’hiver (voir ici et ici) puis en 2005 avec Julie (voir ici). Un succès public indéniable dans un genre qui, il n’y a pas si longtemps pourtant, était rangé au rayon des antiquités, voire tenu pour mort, et qu’est venue confirmer la création de son Yvonne, princesse de Bourgogne, une coproduction avec les Wiener Festwochen et La Monnaie pour laquelle le tapis rouge a été déroulé, avec une première très courue et triomphale un samedi soir à Garnier, qui sera suivie de six autres représentations.


Car la «recette» du compositeur belge fonctionne une fois de plus à la perfection. Elle tient d’abord à son association, pour la quatrième fois, avec Luc Bondy, qui, aidé de Marie-Louise Bischofberger, a adapté la pièce éponyme (1938) de Witold Gombrowicz (1904-1969) et en a également signé la mise en scène: un auteur de référence – après Schnitzler, Shakespeare et Strindberg – vient certes à nouveau apporter sa prestigieuse caution à ce spectacle, mais elle ne servirait à rien sans la qualité de la collaboration entre le musicien et son librettiste.


Et il ne faut bien évidemment pas faire fi de l’habileté minutieuse de l’écriture, tant instrumentale que vocale: comme dans Julie, la partition ne requiert qu’une formation orchestrale réduite (quinze cordes, bois et cors par deux, trompette, trombone, tuba, harpe, piano, percussion), mais cet effectif est employé, deux heures durant, avec une rare maîtrise tant des effets sonores que de leur adéquation à l’action. Et Sylvain Cambreling dirige avec précision et finesse l’excellent ensemble Klangforum de Vienne, l’Intercontemporain autrichien. S’il est parfois reproché à Boesmans de cultiver un peu trop systématiquement le pastiche, cette critique se révèle ici moins pertinente que jamais, car le sujet l’y invite, de fanfares grotesques en parodie de grand air straussien.


Premier ouvrage dramatique de Gombrowicz, Yvonne peut s’interpréter comme une violente dénonciation des conventions sociales. Par son surréalisme grinçant et trivial, cette «comédie tragique» en quatre actes descend de Jarry, avec son couple royal veule et dépravé, mais annonce aussi Ionesco, plus particulièrement les relations dominant/dominé de son «drame comique» La Leçon. On y retrouvera peut-être aussi le Shakespeare de Hamlet, avec un royaume de Bourgogne aussi pourri que celui du Danemark et ses souverains guère reluisants. La remontée à la surface d’un sinistre passé enfoui, la cruauté, l’indécence, le fétichisme, le stupre, la libération d’instincts troubles et pervers, voire malsains et criminels, rappellent aussi, dans le domaine lyrique, Salomé ou Lulu. Sans s’y complaire en quoi que ce soit, Boesmans observe ces univers avec la distance requise: son langage rend ainsi justice à la plume glaciale et cynique de l’écrivain polonais, rendue encore plus percutante par l’adaptation resserrée que Bondy a réalisée d’une œuvre qu’il connaît bien pour l’avoir produite voici déjà plus de trente ans à Cologne.


D’une rare qualité, la direction d’acteurs s’inscrit dans la géométrie et l’apparat faussement rassurants des hauts décors de Richard Peduzzi, somptueusement éclairés par Dominique Bruguière, comme avec ces ombres à la Chirico d’où se détachent, au premier acte, deux énigmatiques personnages portant chapeau melon à la Magritte. Les costumes et coiffures de Milena Canonero en rajoutent juste ce qu’il faut pour évoquer cette cour bling-bling façon années 1940, sur lequel le style vestimentaire et l’attitude corporelle d’Yvonne ne tranchent que plus radicalement: robe à col Claudine, gilet trop large et déformé, pieds en dedans, socquettes blanches et tennis roses, monstrueux croisement de lascivité prépubère à la Balthus et de négligé pitoyable façon Deschiens, mais qui, au troisième acte, avec ses indispensables bottines (toujours roses), renvoie également à Bunuel.


Peut-on parler de «rôle-titre» à propos d’un personnage hors norme, cas clinique avili et scruté par la bonne société comme le Wozzeck de Büchner, larve soumise à la dérision et aux insultes, pantin souffre-douleur subissant des mauvais traitements allant jusqu’aux derniers outrages, qui ne chante pas et ne lâche quelques mots qu’aux deuxième et troisième actes? Dörte Lyssewski incite à le faire sans la moindre réserve, tant son incarnation muette constitue une prouesse. Sur le plateau pendant presque toute la durée de l’opéra, l’actrice allemande, qui est par ailleurs créditée d’une collaboration à la mise en scène, habite de façon saisissante un silence accusateur, dans lequel se dessinent en creux la vacuité et la vanité d’une sinistre galerie de portraits, lesquels possèdent en revanche les armes du chant et de la parole.


Théâtralement très à l’aise, la distribution – à laquelle s’intègre l’ensemble les jeunes solistes de Rachid Safir, assurant les rôles secondaires tout en faisant office de chœur – joue le jeu de manière tout à fait convaincante. Vocalement, c’est une autre histoire, notamment pour un Victor von Halem bien fatigué – mais après tout, pourquoi son chambellan ne porterait-il pas ainsi son âge vénérable? Et, conséquence d’une diction inégale, on se surprend trop souvent à jeter un œil aux surtitres... alors que le livret est en français. Cela étant, Paul Gay et Yann Beuron s’imposent dans les rôles longs et exigeants du roi et du prince, tandis que Mireille Delunsch ne manquera certainement pas, soir après soir, de faire encore mieux sienne une partie très périlleuse. A leurs côtés, les prestations de Hannah Esther Minutillo, Jason Bridges et Jean-Luc Ballestra doivent aussi être remarquées, ainsi que celle de Guillaume Antoine, dans une intervention unique mais qui offre l’un des très rares moments où le sordide est effleuré par un sentiment d’humanité.


Le site de l’ensemble Klangforum Wien
Le site de l’ensemble vocal les jeunes solistes
Le site de Sylvain Cambreling



Simon Corley

 

 

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