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« Faites l’amour, pas la guerre ! » selon Domenico Scarlatti

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
01/17/2009 -  et 18 janvier 2009 (Wien )
Domenico Scarlatti : Tolomeo ed Alessandro

Ann Hallenberg (Tolomeo), Véronique Gens (Alessandro), Klara Ek (Seleuce), Roberta Invernizzi (Elisa), Theodora Baka (Araspe), Tuva Semmingsen (Dorisbe)
Il Complesso Barocco, Alan Curtis (direction)


A. Curtis (© Deutsche Grammophon)



Lorsqu’on cite le nom de Domenico Scarlatti (1685-1757), on pense immédiatement à ses plus de cinq cents sonates pour clavecin, chefs-d’œuvre du genre, au risque de complètement oublier le reste de ses compositions au nombre desquelles figurent notamment plusieurs opéras. Le virus le prit très tôt… Dès ses jeunes années passées à Naples, il fait en effet représenter ses trois premiers opéras, Il Giustino, Ottavia restituita al trono et L’Irene (respectivement donnés en 1703 pour les deux premiers et 1704 pour le troisième). Après être brièvement passé par Rome, ville où « la musique vit de mendicité » pour reprendre les mots de son père Alessandro (1660-1725), Domenico fut envoyé par ce dernier à Venise, en 1705, afin que son talent puisse véritablement s’épanouir.


Ayant sympathisé avec Francesco Gasparini (1661-1727), connu comme ayant été un grand compositeur d’opéras, et ayant croisé le jeune Haendel (né en 1685 comme lui), Domenico Scarlatti développa dans La Sérénissime son goût pour la voix avant de reprendre le chemin de Rome, en 1709, où il devient un des familiers du cardinal Ottoboni. Faute d’avoir été reçu lui-même (et contrairement à son père) à l’Académie de l’Arcadie, il bénéficia du soutien de la reine Maria Casimira de Pologne qui, elle en revanche, en était membre et qui développait une forte activité de mécénat dans son palais romain. C’est dans ce contexte que Scarlatti fit jouer sept opéras de sa composition entre 1710 et 1714 : La Silvia, L’Orlando, overo la gelosa Pazzia, Tolomeo ed Alessandro, Tetide in Sciro, Ifigenia in Aulide, Ifigenia in Tauri, Amor d’un ombra, e Gelosia d’un aura. Tolomeo ed Alessandro overo la Corona disprezzata a été créé le 19 janvier 1711 sur un livret de Carlo Sigismondo Capeci (1652-1722), qui fit par la suite office de matériau de première main pour Nicola Francesco Haym dont le livret, sur le même thème, servira à Haendel pour composer son propre Tolomeo, créé en avril 1728 à Londres.


L’histoire est complexe. Ptolémée IX Sôter II, fils de Cléopâtre III, régna sur l’Égypte et sur Chypre de 116 à 81 avant Jésus-Christ tout en devant partager à plusieurs reprises le trône tant avec sa mère tyrannique qu’avec son frère Ptolémée X Alexandre Ier (ce dernier ayant d’ailleurs vraisemblablement fait assassiner Cléopâtre III en 101 avant Jésus-Christ). Alors même que la trame historique serait sujette à bien des livrets mêlant à la fois sentiments humains, gloire militaire et réflexion sur le pouvoir (à l’instar de ce composeront Haendel dans son Giulio Cesare in Egitto et Mozart dans La Clemenza di Tito), le librettiste Capeci s’en tint à de strictes histoires de cœur ! Ainsi, contrairement à ce que peut laisser entendre le titre de l’opéra, les rapports entre Ptolémée et Alexandre sont quasi inexistants et leurs confrontations sont d’ailleurs des plus rares… L’action se situe à Chypre. Ptolémée est amoureux de Seleuce qu’il croit morte à la suite d’un naufrage, elle-même courtisée par le tyran Araspe, roi de Chypre, au détriment de la belle Dorisbe. Alexandre, frère de Ptolémée, échoue (au sens propre du terme) sur l’île de Chypre : alors qu’Araspe lui offre hospitalité et amitié, Alexandre tombe amoureux de la sœur du tyran, Elisa, qui refuse ses avances. Sans entrer dans les détails, il suffit de savoir que tout se termine de la façon la plus heureuse puisque Ptolémée et Seleuce se retrouvent, Alexandre (qui renonce au trône d’Egypte au profit de son aîné) s’unit à Elisa et Araspe accepte finalement de se marier avec Dorisbe…


Le contexte intimiste et galant imposé par le livret implique immédiatement un orchestre en conséquence : une dizaine d’instruments à cordes, deux théorbes, un hautbois, un basson, une flûte traversière et un clavecin forment en tout et pour tout l’accompagnement des chanteurs. Il Complesso Barocco s’avère être un excellent ensemble, mené avec attention par Alan Curtis dont on regrette néanmoins que la direction ne soit parfois pas plus dynamique… Le manque de richesse mélodique (a contrario, dans son Tolomeo, Haendel fait appel à des flûtes à bec, des cors, un second hautbois…) qui en découle est compensé par les talents d’orchestrateur de Domenico Scarlatti. Ainsi, dans l’air « de la tourterelle » (« La tortorella, mentre si lagna ») chanté par Dorisbe à la scène 7 du premier acte, les vents miment le volettement d’un oiseau qui, en duo avec la voix, en font un moment de pur délice. De même, les hésitations des cordes forment un parfait écho aux tourments de Ptolémée dans son air « Torna sol per un momento » qui conclut le premier acte. On remarque également les doux arpèges de la flûte qui, servant d’écrin à Alexandre lorsqu’il chante l’air introductif du deuxième acte « Turbato, o mia signora », instillent un climat propre à décrire la campagne dans laquelle la scène est censée se passer. L’accompagnement orchestral, si délicat et orné qu’il soit, est néanmoins parfois emprunt d’une touchante « scolarité » : ainsi, dans l’air d’Elisa « Voglio amore o pur vendetta », si le mot « amore » est seul accompagné de la flûte, le reste du vers est, en revanche, joué par l’orchestre tout entier avec force et vivacité. L’instrument fait ici plus qu’accompagner la parole : il en est le double parfait, quitte à ce que la surprise et l’originalité ne soient pas les leitmotivs de la partition…


Ces faiblesses se retrouvent fatalement dans le chant. Chaque personnage étant représenté par une voix, six voix féminines se partageaient donc la scène entre trois sopranos et trois mezzo-sopranos. Le premier rôle-titre était tenu par Ann Hallenberg, qui chante également le rôle de Tolomeo dans l’opéra de Haendel dirigé au disque par Alan Curtis (chez Archiv Produktion). Sa voix chaude et techniquement impeccable fit merveille même si les plus beaux airs n’étaient généralement pas dévolus à son personnage… De même, et sans que cela nuise à leurs prestations, on regrette que la partition ne mette pas davantage en valeur Dorisbe et Alessandro. Si la jeune danoise Tuva Semmingsen joue habilement son rôle, on soulignera surtout l’exceptionnelle prestation de Véronique Gens : altière, magnifiquement dessinée par sa robe noire en fourreau, elle donne une leçon de chant, qu’il s’agisse de son duo bondissant avec Araspe au premier acte (« Verdi piagge, selve amene ») ou de son air magnifique « Pur sento (oh dio) che l’alma », où sa voix doit habilement jouer avec les silences. Moment de grâce absolue ! En dépit de son état quelque peu grippé, Theodora Baka tint son rôle avec talent. Sa technique vocale lui permit sans encombre de rendre aux airs dévolus à Araspe tout leur panache, la plupart étant fortement ornementés à l’image du beau « Destrier che spinto al corso » (acte 2, scène 3). Au-delà des prestations précédemment soulignées, on retiendra surtout celles de Klara Ek (Seleuce) et de Roberta Invernizzi (Elisa). A voir leurs mouvements et leurs emportements, on regrette que cet opéra ait été donné en version de concert et non en version scénique, ce qui leur aurait sûrement permis de déployer leurs talents de comédiennes. Leurs voix furent admirables, adoptant toujours le juste ton en fonction du message à délivrer, donnant lieu à des duos d’une finesse remarquable (à la quatrième scène de l’acte 2 par exemple) et des airs qui, sans atteindre ce que l’on peut entendre chez d’autres compositeurs, plongèrent parfois le Théâtre des Champs-Elysées dans une atmosphère quasi irréelle (ainsi lorsqu’Elisa chanta « Su, su, mio core » à la scène 6 du deuxième acte).


Alors que l’œuvre reste on ne peut plus confidentielle (elle ne connaît aucun enregistrement à ce jour et Piotr Kaminski ne fait que la mentionner au détour de la notice biographique qu’il consacre à son auteur dans sa somme Mille et un opéras parue chez Fayard), force est de constater que le public était au rendez-vous. C’est donc un Théâtre des Champs-Elysées quasiment complet qui put acclamer une équipe de musiciens et de chanteurs totalement engagée : de quoi les encourager à récidiver !


Le site d’Il Complesso Barocco



Sébastien Gauthier

 

 

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