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Des Noces sous l'Ancien Régime Strasbourg Opéra du Rhin 12/20/2008 - et les 22*, 26 et 29 décembre, 2 et 4 janvier; à Mulhouse (Théâtre de la Sinne) le 16 janvier à 20h et le 18 janvier à 15 h; à Colmar (Théâtre Municipal) le 25 janvier à 15 h. Wolfgang Amadeus Mozart : Le Nozze di Figaro
Ludovic Tézier (Il Conte Almaviva), Nuccia Focile (La Contessa Almaviva), Sophie Karthäuser (Susanna), David Bizic (Figaro), Valentina Kutzarova (Cherubino), René Schirrer (Bartolo), Jeannette Fischer (Marcellina), Loïc Félix (Don Basilio), Michel Lecomte (Don Curzio), Alain Domi (Antonio), Anaïs Mahikian (Barbarina), Karine Bergamelli, Dilan Ayata-Benet (Deux jeunes filles)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Roland Böer (direction)
Nicholas Hytner (mise en scène), Maria Bjornson (décors et costumes), Simon Trottet (lumières)
(© Alain Kaiser)
Malgré ses quelques années d’âge (le spectacle fut initialement monté à Genève en 1999, puis déjà présenté à l’Opéra du Rhin en 2004) cette production conventionnelle des Nozze di Figaro signée Nicholas Hytner (reprise pour l’occasion par Nicholas Taylor) continue à bien tenir la route, et surtout restitue l’ouvrage sans distorsions ni lourdeurs. On y voit vivre des personnages crédibles, aux buts clairement affichés, dans des décors dépouillés et optiquement originaux. La forte inclinaison du plateau et ses lignes de fuite accentuées ménagent la lisibilité des ensembles sur des espaces réduits, permettant à plusieurs groupes d’intérêts divergents de coexister, à la fois suffisamment rapprochés pour qu’une cohérence musicale reste possible, et suffisamment distincts pour que l’appartenance à chacun des camps reste bien lisible. Une direction d’acteurs sobre et quelques originalités bien amenées (les sévices infligés par Figaro au mannequin porte-perruque du comte, dont l’évocation explicite d’un passage à la guillotine, le jeu amoureux entre Cherubin et la Comtesse, qui va nettement plus loin qu’une simple complicité…) achèvent de donner à cette production son charme confortable, qui nous repose de trop de Nozze historiquement incohérentes (Salzbourg, Paris, Nancy, Barcelone… une liste d’expérimentations hasardeuses qui s’allonge malheureusement chaque saison davantage).
Déjà remarquée dans la production originale et sensible d’Adrian Noble et William Christie à l’Opéra de Lyon en juin 2007, Sophie Karthaüser s’affirme encore davantage à Strasbourg comme une Suzanne de grand format, à la fois fine comédienne, et mozartienne de haut vol, irrésistiblement émouvante dans un Deh vieni non tardar d'anthologie. David Bizic a sans doute moins d’expérience dans le rôle de Figaro mais on ne s’en aperçoit guère, tant son aplomb, sa sûreté technique et la plénitude de son timbre lui permettent de camper exactement le personnage robuste et rassurant que l’on attend. Enfin chaque phrase chantée par le Comte Almaviva de Ludovic Tézier se déguste comme un intense moment de musique, y compris dans des ensembles auxquels sa voix assure un soubassement rythmique aussi rigoureux qu’une ligne de violoncelles dans l’orchestre mozartien. Quant aux vocalises féroces d’Hai gia vinta la causa… cosa sento, on les a rarement entendues aussi précises et vindicatives. Que l’acteur soit par ailleurs réservé, voire relativement rigide, importe peu. De même que Dietrich Fischer-Dieskau naguère, Ludovic Tézier campe efficacement un personnage d’aristocrate raidi par ses accès de colère rentrée, qui n’a nul besoin de s’agiter pour affirmer son autorité.
Fine musicienne, voire d’une sensibilité touchante, la Comtesse de Nuccia Focile déçoit par son timbre fatigué, la voix semblant irrémédiablement abîmée par un vibratello difficile à relativiser. A contrario, on apprécie que l’on ait trouvé avec Jeannette Fischer une Marcellina à la fois suffisamment mûre pour le rôle mais aussi une technicienne encore présentable, ce qui permet de lui laisser chanter son air du IV, passage vocalement difficile et souvent coupé. En revanche le Bartolo de René Schirrer paraît en relative méforme, manquant d’agilité et de projection. Le Cherubino de Valentina Kutzarova séduit par son timbre chaleureux et son investissement éperdu du rôle, aux limites toutefois de la perte de contrôle de l’intonation. En dépit de petits défauts son interprétation très crédible des deux airs principaux convainc, y compris par une ornementation plutôt originale et toujours très musicale (on retrouve aussi cette discrète tendance aux embellissements de la ligne chez d’autres solistes de la soirée, mais avec un bonheur moins constant). Le truculent Basilio de Loïc Felix, la jolie Barbarina d’Anaïs Mahikian et les bonnes prestations de l’ensemble des autres petits rôles, confiés à des chanteurs issus du Choeur de l’Opéra du Rhin, complètent cette distribution équilibrée.
À l’occasion de ses débuts en France, Roland Böer parvient à tirer le meilleur d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg en bonne forme, avec en particulier une petite harmonie dont le charme éminemment mozartien fait oublier quelques relâchements occasionnels du côté des violons (en ordre dispersé) et des cors (hasardeux). Plus problématique semble le contrôle du plateau, les chanteurs semblant désorientés par des tempi rapides, avec d’innombrables décalages, certains paraissant même rattrapés de justesse, ce qui n’est pas forcément grave, mais aussi une certaine raideur, peut-être imputable à un sentiment général d’insécurité. Clairement, c’est toujours quand les éléments les plus sûrs de la distribution sont au premier plan (Karthaüser, Bizic et Tézier) que ces Nozze di Figaro coulent de source, retrouvent cette grâce mozartienne évidente qui a d’autres moments semble un peu leur échapper. Mais l’essentiel est sauf : une représentation vivante, riche en moments exceptionnels.
Laurent Barthel
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