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Un grand chef Paris Salle Pleyel 12/19/2008 - Maurice Ravel : Ma mère l’oye
Esa-Pekka Salonen : Concerto pour piano (création française)
Jean Sibelius : « Valse triste », opus 44 n° 1 – « Le Cygne de Tuonela », opus 22 n° 2 – « Le Retour de Lemminkäinen », opus 22 n° 4
Yefim Bronfman (piano)
Orchestre Philharmonique de Radio France, Esa-Pekka Salonen (direction)
Esa-Pekka Salonen (© Nicho Södling)
Si l’on regrette évidemment de ne pas avoir entendu l’excellent Mikko Franck, on ne regrette pas qu’il ait été remplacé par son compatriote Esa-Pekka Salonen. Que celui-ci ait pu, au pied levé, donner un aussi beau concert, témoigne à la fois de sa maîtrise et du niveau de l’orchestre. La Suite de Ma mère l’oye, qui ne figurait pas au programme de Mikko Franck, est un enchantement : le chef crée une atmosphère de subtile féerie, avec, dès la « Pavane de la belle au bois dormant », des jeux sur les timbres à la Lutoslawski – un compositeur familier de Salonen. Il obtient des cordes, dans « Le Petit Poucet », une onctuosité et un legato qui n’ont rien à envier à celles de l’Opéra. La partie centrale des « Entretiens de la belle et de la bête » paraît d’une modernité prophétique, « Le Jardin féerique » ne touche pas terre. Et la direction, aussi précise que raffinée, aura fait ressortir tout au long de la suite, des détails souvent négligés.
Présenté en création française, le Concerto pour piano d’Esa-Pekka Salonen, commande conjointe de l’Orchestre philharmonique de New York, de la BBC, de l’Orchestre symphonique de la NDR et de Radio France, ne peut évidemment trouver meilleur défenseur. Mais il convainc peu : ni vraiment tonale ni vraiment atonale, la partition a beau être bien structurée dans ses trois parties et orchestrée avec un grand métier, cette musique se souvient trop de Ravel, du jazz, de la musique américaine, des partitions que le chef a dirigées et digérées, pour ne pas finir par lasser, alors qu’on a pu être, au début, séduit par cette euphorie rythmique et sonore digne d’un Bernstein. Yefim Bronfman, le dédicataire et le créateur, déploie une énergie à toute épreuve, notamment dans de périlleuses cadences. Il s’avère moins heureux lorsqu’il joue, en bis, une Arabesque de Schumann consciencieuse et sans mystère, malgré de belles sonorités à la fin.
Consacrée à Sibelius, la suite du concert, en revanche, rejoint les sommets de Ma mère l’oye. La « Valse triste » reste une valse, au charme mystérieux, un peu amer, sans le moindre pathos, d’une clarté qui n’est jamais sécheresse. Le chef finlandais, surtout, se garde de germaniser Sibelius, d’en faire un héritier de Wagner, même dans la chevauchée virtuose du « Retour de Leminkaïnen », où le travail sur la dynamique et la pulsation évite toute lourdeur, alors que la sonorité garde une sorte d’âpreté et que l’épopée ne perd pas ses droits. N’avait-il pas d’ailleurs, à Bastille, « déwagnérisé » Tristan qui, du coup, annonçait Pelléas ? Même au plus fort des tutti, le son ne sature jamais : on ne reconnaît plus l’orchestre de Myung-Whun Chung et c’est tant mieux. Le changement de chef n’ayant pas permis de maintenir les quatre Légendes au programme, ce « Retour de Lemminkäinen » succède au fameux « Cygne de Tuonela », où la musique paraît d’une nudité tragique, avec des combinaisons de timbres d’un raffinement inouï, les solistes de l’orchestre, cor anglais et violoncelle évidemment, mais aussi harpe et timbales, se montrant particulièrement inspirés. A la tête de son orchestre de Los Angeles, dans le même lieu, Salonen avait parfois suscité quelques réserves dans son intégrale des Symphonies donnée à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Sibelius : ici, il emporte pleinement l’adhésion.
Didier van Moere
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