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Tourbillons tchèque et russe

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
12/11/2008 -  
Antonín Dvorák : Carnaval (ouverture), opus 92
Serge Prokofiev : Concerto pour violon et orchestre n° 2 en sol mineur, opus 63
Serge Rachmaninov : Symphonie n° 2 en mi mineur, opus 27

Viktoria Mullova (violon)
Orchestre national de France, Yakov Kreizberg (direction)


Viktoria Mullova (© Sasha Gusov)



Le classique triptyque ouverture – concerto – symphonie peut se décliner de plusieurs façons. Si certains programmes se contentent de faire entendre des partitions maintes fois jouées aux quatre coins du monde, d’autres cherchent à s’écarter un peu des sentiers battus en donnant à entendre des œuvres dont l’écoute s’avère plus rare dans une salle de concert. Yakov Kreizberg, chef talentueux que l’on voit malheureusement trop peu souvent en France, a opté pour le second terme de l’alternative en choisissant des morceaux représentatifs de l’éclectisme du répertoire d’Europe centrale et orientale.


Antonín Dvorák (1841-1904) compose, en 1891, un ensemble de trois ouvertures, initialement dénommé « Nature, Vie, Amour ». Dans la nature opus 91, Carnaval opus 92 et Othello opus 93 furent pourtant disjointes et considérées indépendamment les unes des autres. Le sous-titre jadis donné à Carnaval annonce à lui seul la richesse et l’exubérance d’une œuvre qui devint rapidement un cheval de bataille pour tout orchestre souhaitant démontrer ses qualités. Dans une gestique assez déroutante (notamment une extraordinaire souplesse de son poignet droit…), Yakov Kreizberg donne une belle interprétation de cette ouverture où le passage central est confié au cor anglais (irréprochable à chacune de ses interventions ce soir), préfigurant le légendaire deuxième mouvement de la Neuvième symphonie qui verra le jour moins de deux ans plus tard.


En 1935, Serge Prokofiev (1891-1953) a déjà composé un premier concerto pour violon (opus 19), en ré majeur (la même tonalité que ceux de Beethoven et de Brahms), qui se caractérise notamment par une impressionnante technicité. Le Second Concerto pour violon délaisse la virtuosité au profit d’un lyrisme apaisé. Ecrit à une époque où le compositeur, qui ne demandait qu’à partir aux Etats-Unis, se rend compte qu’il va être obligé de rester en URSS, il s’agit d’une œuvre de commande pour un groupe d’admirateurs du violoniste Robert Soetens. Alors qu’il s’orientait originellement vers une sonate, la nécessité qu’il ressentait d’introduire un tissu orchestral conséquent conduisit Prokofiev à opter de préférence pour la forme concertante. Créé en décembre 1935 par Soetens, le concerto débute par une phrase douloureuse du violon (dont le thème innerve l’ensemble du mouvement) rapidement reprise par les cordes de l’orchestre. En dépit du climat élégiaque découlant naturellement de la partition, Viktoria Mullova se montre assez rétive à tout sentimentalisme au point de jouer sans aucune émotion les phrases la faisant discourir avec le cor, le hautbois, la clarinette… En dépit d’un bon accompagnement orchestral, la machine tourne rapidement à vide, le dialogue avec la soliste refusant de se nouer. Le deuxième mouvement, célèbre Andante assai, débute sur les pizzicati des cordes qui, tels des gouttes de pluie, plongent immédiatement l’auditeur dans un climat de poésie et d’insouciance bucolique. Les remarquables interventions des clarinettes et de la flûte ne suffisent néanmoins pas à relever l’interprétation de la violoniste russe qui, là encore, ne met aucune émotion dans son jeu. Aussi reste-t-on à la surface d’un mouvement et on se laisse rapidement dominer par un ennui qui gomme l’extraordinaire richesse de la partition, qu’il s’agisse de la diversité des tonalités ou des clins d’œil mélodiques… L’Allegro, ben marcato, basé sur un thème obsédant joué à trois temps, met en exergue accents rustiques et sarcastiques à la fois où les percussions (castagnettes, grosse caisse, caisse claire…) trouvent un rôle de premier plan. Si Yakov Kreizberg se montre attentif aux chausse-trappes d’une partition complexe où l’orchestre déploie tous ses talents, Viktoria Mullova déçoit de nouveau. Plus à l’aise que dans les mouvements précédents (celui-ci faisant davantage appel aux « simples » aspects techniques), elle s’ingénie néanmoins à donner une interprétation assez étale où musicalité et spiritualité sont largement ignorées… En bis, elle offre au public (mesuré dans ses applaudissements) la Sarabande de la Deuxième Partita de Jean-Sébastien Bach : là encore, on se demande où était la musique…


La seconde partie du concert était tout entière occupée par la grande Deuxième symphonie de Serge Rachmaninov (1875-1945). La Première symphonie, créée en mars 1897 par Glazounov (qui, paraît-il, dirigeait alors qu’il était ivre…), avait été un échec cuisant pour Rachmaninov. Cela explique peut-être en partie le fait qu’il ait attendu 1906 pour entreprendre la composition d’une nouvelle symphonie, achevée en janvier 1908 et créée quelques jours plus tard sous la direction du compositeur. La condition essentielle pour réussir son interprétation consiste à avoir une vision d’ensemble de l’œuvre dont les motifs se retrouvent dans chacun des quatre mouvements : force est de constater que Yakov Kreizberg, servi par un magnifique orchestre, se montre plus qu’à la hauteur. La douce mélopée du premier mouvement, Largo – Allegro moderato, confiée aux cordes, plonge l’auditeur tour à tour dans l’univers de Sibelius (l’intervention du cor anglais qui suit n’est pas non plus sans évoquer quelques accents scandinaves), avant que l’on ne se trouve entraîné dans ceux de Tchaïkovsky (la fin du mouvement fait notamment penser à l’Ouverture 1812 ou à certains élans de la Cinquième symphonie) ou, même, de Wagner… L’Allegro molto débute par une intrépide cavalcade lancée par les cors (admirables de bout en bout) avant qu’une douce page méditative ne rompe le climat originel : Kreizberg veille à sans cesse imposer le juste ton, arbitrant entre les emportements des cordes et les interventions de la petite harmonie. Impliquées dans le moindre coup d’archet, les cordes de l’Orchestre national de France imposent une cohésion et un lyrisme qui forcent l’admiration, terrorisant et merveilleux à la fois. Le mouvement le plus célèbre de la symphonie est sans nul doute l’Adagio : sans être alangui, l’interprétation qui en est donnée ce soir frappe par un double sentiment d’évidence (saluons notamment la superbe clarinette de Calogero Palermo) et de retenue alors qu’il serait facile d’en donner une vision tout en guimauve… Yakov Kreizberg lance l’orchestre dans un Allegro vivace spirituel et festif, à l’instar de ce qu’a pu composer Dvorák dans sa Deuxième symphonie. Alternant passages tourbillonnants et d’un calme olympien, ce dernier mouvement, conclu par un martellement identique à celui de la Cinquième symphonie de Tchaïkovsky, permet à l’orchestre de briller de mille feux et de remporter, avec son chef d’un soir, un véritable triomphe.


Plus que jamais, on peut rappeler la citation du pianiste Josef Hofmann (dédicataire du Troisième concerto pour piano) pour qui « Rachmaninov était fort d’acier et d’or ; l’acier était dans ses mains, l’or était dans son cœur ». L’Orchestre national de France et Yakov Kreizberg l’ont de nouveau démontré, et ce de la plus belle façon.


Le site de Viktoria Mullova



Sébastien Gauthier

 

 

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