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Péniche philosophique Paris La Péniche Opéra 12/08/2008 - Erik Satie : Socrate
Paul Méfano : They – Estampes japonaises – L’Abandonnée – Alone – Pantoum – Trois Chants crépusculaires – Instantanée pour violon – Noyade impressionniste – Hétérotopologie (création) Chloé Waysfeld (soprano), Paul-Alexandre Dubois (baryton)
Alexis Galpérine (violon), Christophe Manien (piano)
Mireille Larroche (mise en espace), Dorian Astor (dramaturgie), Jean-Baptiste Favory (ingénieur du son)
Comme au cours de la saison passée, chacun des quatre «Lundi de la contemporaine» à la Péniche Opéra s’ouvrira sur la même œuvre, en phase avec la thématique retenue pour cette série de concerts monographiques: en 2007-2008, la cantate satirique Rayok de Chostakovitch invitait à la réflexion sur les concepts de «discours» et de «débat»; en 2008-2009, Socrate (1918) de Satie oriente tout naturellement vers «musique et philosophie», sous la direction musicale de Paul-Alexandre Dubois et sur une dramaturgie de Dorian Astor. Ce dernier a proposé des textes de différents philosophes aux compositeurs invités, en les laissant en choisir un à «mettre en musique» pour honorer la commande que Mireille Larroche leur a passée. Ces quatre créations seront reprises durant une «Nuit de la contemporaine», le 16 mai jusqu’à 3 heures du matin, à laquelle seront associés, pour «terminer sur une touche de convivialité et d’originalité», d’autres intervenants (chorégraphes, plasticiens, conférenciers, ...). D’ici là, il faut souhaiter que les prochaines soirées, dédiées respectivement à Thierry Machuel, Pascale Criton et Philippe Fénelon, connaîtront le même succès que la première, contraignant toutefois le public à patienter dans le froid avant de pouvoir accéder à la salle et retardant de près d’une demi-heure le commencement du programme.
C’est bien évidemment dans sa version piano que le «drame symphonique» de Satie est donné. Accompagné par Christophe Manien, Paul-Alexandre Dubois, entre déclamation et chant, ne se départit pas de la blancheur monocorde et dépourvue de pathos dont Satie, retrouvant le dépouillement et la gravité de ses années 1890, a entouré ces extraits de Dialogues de Platon. Suivi de la lecture de quelques passages, inévitablement pittoresques, de la correspondance de Satie, Socrate est précédé de la diffusion d’un entretien avec Jean Wiéner, admiratif («C’est grand comme une Passion de Bach») au point d’affirmer que la durée des trois parties dépasse l’heure, alors qu’elle est en réalité de l’ordre de trente minutes.
Paul Méfano se souvient que l’inventeur des «concerts salades», accompagné de Madeleine Grey, la créatrice des Chansons madécasses de Ravel, avait soutenu de sa présence les débuts de 2e2m. Et le fondateur de cet ensemble remonte encore plus loin pour évoquer la centaine de mélodies qu’il écrivit entre 1958 et 1962, sur ses propres poèmes mais aussi sur ceux d’Eluard, Rilke ou Bonnefoy. Sans surprise, les cinq Estampes japonaises (1959) tiennent du haïku par leur brièveté et leur économie de moyens, même si le cycle s’achève de façon aussi exubérante qu’humoristique («Dans le jardin»). La soprano Chloé Waysfeld interprète également Trois Chants crépusculaires (1958/1960), plus développés mais aussi plus traditionnels, paraissant tributaires de Messiaen jusque dans la démesure des accords violemment répétés dans le grave du piano («Perçois-tu, humain, le futur...»).
L’étonnant They (1974), où le baryton, ressassant le pronom personnel anglais du titre, est confronté à onze autres parties qu’il a lui-même préenregistrées, annonce l’extrême concision et l’ironie des Instantanées (2004), vingt-deux «pièces pédagogiques» pour différents instruments: non loin de l’esprit des mélodies pince-sans-rire de Satie, la voix y trouve sa place – avec piano («Pantoum», sous-titré «musique colonialiste») ou a cappella («L’Abandonnée») – mais aussi le piano (dans une «Noyade impressionniste» du plus bel effet) et le violon seul («Instantanée»). Autre partition pour violon seul confiée à Alexis Galpérine, Alone (1958/1996) développe son amertume en deux mouvements, dont la moitié du premier sous la chape d’une sourdine en plomb.
Ayant relevé le défi de faire de Micromégas une «action lyrique en sept tableaux» (voir ici), Méfano ne pouvait être que séduit par la commande «philosophique» de la Péniche Opéra. Sur un texte de Michel Foucault, dont le compositeur, dans sa présentation liminaire, rappelle l’importante correspondance (hélas détruite) avec Jean Barraqué, Hétérotopologie réunit soprano, baryton, violon et électro-acoustique (bruitages et instruments). Si le propos du philosophe – fonder une science des «espaces différents» – demeure généralement intelligible, au point de faire parfois sourire le public, l’ensemble n’en laisse pas moins une impression de joyeux happening: mais les utopies des années 1970 ne sont-elles pas encore d’actualité?
Le site des «Lundi de la contemporaine»
Simon Corley
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