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Katia: l’eau, le chagrin, la mort

Madrid
Teatro Real
12/02/2008 -  et 4, 5*, 8, 11, 14, 16, 17, 20, 23
Leos Janácek : Katia Kabanová
Karita Mattila (Katia), Miroslav Dvorsky (Boris), Julia Juon (Kabanija), Natacha Petrisnky (Varvara), Guy de Mey (Tikhon), Gordon Gietz (Kudriash), Oleg Bryjak (Dikoi), Marco Moncloa (Kuliguin), Itxaro Mentxaca (Glasha), María José Suárez (Feklusha)
Chœur du Teatro Real, Peter Burian (chef de chœur), Orchestre du Teatro Real, Jirí Belohlávek (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène et lumières), Patrick Kinmonth (décors et costumes), Philippe Giradeau (chorégraphie)


(© Javier del Real)


Peut-être grâce à sa jeunesse, le Teatro Real s’est risqué sans état d’âme dans Katia Kabanová. Lissner avait programmé La petite renarde rusée du Châtelet pour la saison 1997-1998, et on avait vu déjà De la maison des morts, L’Affaire Makropoulos. Après cette Katia, on pourra voir Jenufa au cours de la saison prochaine. Et toutes ces œuvres ont été bien reçues par le public. Mais Katia a littéralement déchaîné l’enthousiasme.




De temps en temps on assiste à un miracle dans un théâtre. Après les abus des modernités feintes, on parvient parfois à assister à un chef d’œuvre du théâtre lyrique. La mise en scène de Katia Kabanová de Robert Carsen est très moderne, certes, mais elle perce dans le texte (l’enchère musicale et dramatique de Janácek), y découvre et y explore des images puissantes, profondes, avec une direction d’acteurs peu courante dans les colisées d’opéra. Carsen renforce le drame avec les codes et les images qui lui sont propres. Il approfondit un conflit, une histoire qui ne se veulent jamais subtiles, mais implacables ; la mise à mort d’une victime où le temps est en perpétuel renouveau.



La présence de la Volga est permanente. L’eau entoure les personnages, un groupe de « Katias » propose un ballet du désespoir et de la mort pendant le prélude et les numéros orchestraux. Les chanteurs, les « ballerines-Katia » baignent dans l’eau inquiète du fleuve. On « voit » le thème de la menace, favorisé par l’image de Carsen, en même temps qu’on « entend » tous les thèmes et les cellules autour de Katia et du groupe qui l’entoure. Et la Volga se reproduit dans l’écran au fond de la scène, un écran qui trouble les images troubles du fleuve, comme un moteur de l’action dramatique ou chorégraphique.



Katia Kabanová est l’opéra d’un rôle qui occulte tous les autres rôles. Katia est le seul personnage complexe, riche, qui change. Le reste, y compris son amoureux, Boris, qui n’est pas vraiment à la hauteur, et surtout sa belle mère, la tyrannique Kabanija, mais aussi le mari de Katia,Tikhon Kabanov, sont des personnalités fixes, identiques à elles mêmes tout au long de l’œuvre. Des « types » plutôt que des « personnages ». Mais cet opéra est l’adaptation d’un drame en cinq actes, et Janácek y parvient avec un manichéisme vrai, même s’il n’a pas le côté vraisemblable d’Ostrovski, et il accomplit une fusion, une synthèse des rôles et des situations qui donnent un spectacle cent minutes chanté et orchestré avec une justesse pénétrée de savoir théâtral.



Il faut entendre la richesse d’expression lyrique, vocale et dramatique de Karita Mattila, une Katia formidable : équilibre entre la pauvre fille et l’héroïne dont l’âme bataille, sans succès, contre les valeurs de la communauté (on n’est plus dans le petit village de Jeuna). Mattila a souvent interprété ce rôle dans les dernières années, et elle parvient à une sublime maturité de ce personnage. Mattila sait bien que Katia n’est pas une femme révoltée, mais une victime ; son super-ego l’écrase, et sa seule ennemie n’est que la société personnifiée par Kabanicha, avec les valeurs qu’elle ne peut pas expulser de chez elle, de son intérieur. Cet être beau, complexe, faible, s’exprime avec Mattila à travers un chant émouvant et électrisant, une voix lyrique et dramatique, qui oscille de la tendresse et la douceur à la mort, marquée depuis le début par le thème de la menace et les craintes de ses confessions… et par les « Katia » dansantes et mourantes dans l’eau du fleuve. Le médium et les aigus de Mattila, unis à sa personnalité d’actrice, très bien dirigée par Carsen, sont la base du succès de ce spectacle qui a fasciné le public du Teatro Real. Mais il y a aussi Julia Juon, mezzo d’une belle voix dont la pâte est dense, dans le rôle peu étendu mais néanmoins écrasant de Kabanija, que Jukon a chanté très souvent aussi. On peut aussi remarquer le Boris convaincant de Miroslav Dvorsky, ténor lyrique avec, parfois, des élans héroïques. La mezzo autrichienne, Natacha Petrinsky campe une belle Varvara, charmante et rusée, l’opposé de Katia, parce qu’elle choisit de vivre, et vivre c’est fuir tout cela.




Mais un chef d’œuvre n’a pas besoin de la perfection totale, et cette Katia a ses petites faiblesses. Les autres ténors, hélas, n’étaient pas à la hauteur des protagonistes, mais on ne peut pas tout avoir.



Certainement, il ne s’agissait pas de costumes de la Russie du temps jadis. Patrick Kinmonth a dessiné un décor projeté, l’eau attirante (sexe, inconscient, vie, mort) et les planches qui donnent aux personnages un sol précaire sur l’eau; de toute
évidence, l’intention n’était pas de dessiner des costumes historiques. L’époque choisie n’est pas celle qui précède l’abolition du servage (Ostrovski), mais un moment et un lieu indéfinis où l’on trouve des « Katias » fascinées par l’eau et la mort, comme Ophélia, mais pas pour les mêmes raisons, et surtout, hantées par cette souffrance que l’on croit, à tort, d’un temps révolu.




Belohlávek fait un excellent travail avec l’orchestre. Après la disparition de Kubelík et de Neumann, Belohlávek est le grand directeur musical du répertoire tchèque. Avec Mackerras, certainement, mais pas « après » Mackerras, comme on a pu le lire. Il a travaillé longtemps avec l’orchestre du Teatro Real, et il a réussi aussi son propre miracle qui fusionne avec celui de Carsen.

En fin de compte, il ne s’agissait pas de « miracles », mais tout simplement de la force du talent et du travail réunis. Belohlávek, le grand interprète de Martinu, de Fibich, de Dvorák, de Smetana, est aussi un grand spécialiste de Janácek. Il a réussi à transmettre la magie de l’orchestre du compositeur d’Hukvaldy à des musiciens dont la tradition est bien loin de ces contrées.


Le succès de Katia arrive juste au moment où l’on apprend que le directeur artistique Antonio Moral, son programmateur, ne renouvellera pas son contrat en 2010. Une drôle de récompense ! Mais les choses sont claires maintenant : son successeur sera Gerard Mortier.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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