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100% Prokofiev Paris Théâtre des Champs-Elysées 12/03/2008 - Serge Prokofiev : Concerto pour piano n° 3, opus 26 – Roméo et Juliette, opus 64 (extraits)
Denis Matsuev (piano)
Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, Youri Temirkanov (direction)
Y. Temirkanov
Un an jour pour jour après leur venue pour trois concerts Tchaïkovski (voir ici), l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg et Youri Temirkanov, directeur artistique et chef principal, reviennent au Théâtre des Champs-Elysées, cette fois-ci pour deux soirées consacrées intégralement à Prokofiev. Il est peut-être agaçant de voir nos meilleures formations emmener presque systématiquement Berlioz, Debussy et Ravel en tournée, mais se lassera-t-on jamais de retrouver l’orchestre façonné par Mravinski dans le répertoire russe? En tout cas, le premier programme, un peu bref, n’aura en rien suscité un tel sentiment – quand bien même le chef rival du Kirov, Valery Gergiev, est parvenu quant à lui à mi-chemin d’un cycle... Prokofiev à Pleyel avec son Orchestre symphonique de Londres (voir ici et ici).
Dix jours après son apparition dans une étrange et oubliable «création» (voir ici), Denis Matsuev se montre beaucoup plus à son avantage dans le Troisième concerto (1921): d’une précision diabolique, il domine sans peine l’orchestre, mais si éblouissante soit-elle, sa prestation n’oublie ni l’expression ni la poésie: une interprétation irrésistible, à peine ternie par quelques afféteries vénielles du côté du chef et du soliste, comme, dans le deuxième mouvement, cette petite hésitation dans l’anacrouse du thème ou cette manière d’étouffer la dernière note. Toujours aussi généreux en bis, le pianiste, qui sera à nouveau au Théâtre des Champs-Elysées en récital dès le 29 janvier, offre une délicieuse Tabatière à musique (1893) de Liadov, mais dans la dernière (en ré dièse mineur) des douze Etudes de l’Opus 8 (1895) de Scriabine, l’esbroufe, la brutalité et les approximations prennent le pas sur la raison.
Parmi les trois Suites tirées par Prokofiev de Roméo et Juliette (1935), ce ne sont pas, comme indiqué dans le programme de salle, les sept pièces de la Deuxième et la dernière des sept pièces de la Première qui ont été sélectionnées, mais six de l’une et deux de l’autre. Qu’importe, car dès les crescendos des cuivres ouvrant «Montaigus et Capulets», s’impose une atmosphère saisissante, sombre et tendue, qui ne bascule à aucun moment dans le pathos: au romantisme intense et sans complaisance, plus épique que suave, de «Roméo au tombeau de Juliette» répond ainsi l’alacrité de «Danse» et «Masques». D’une magnifique lisibilité, la direction de Temirkanov s’attache à faire découvrir maints détails au sein d’une musique d’une infinie richesse, mais, grâce notamment à des tempi rapides, ne perd jamais le fil. Admirablement caractérisés, «Juliette enfant» et «Père Lorenzo» apparaissent plus justes que simplement pittoresques. Au culte du beau son sont préférées des couleurs franches, mettant en valeur l’identité d’une formation dont les cordes s’illustrent tant par leur densité et leur plénitude («Roméo auprès de Juliette avant leur séparation») que par leur mordant et leur agilité («Mort de Tybalt», où Temirkanov, comme en 2005, réduit à huit les quinze coups écrits dans la partition).
En février 2007, un extrait des Variations «Enigma» avait remercié le public (voir ici): avec Salut d’amour (1888/1889), les Russes confirment leur goût pour Elgar, mais c’est bien évidemment avec Prokofiev qu’ils prennent congé. Tout sauf anodine, d’une verdeur et d’une inventivité étonnantes au regard de sa célébrité, la Marche de L’Amour des trois oranges (1919), exprime, en moins de deux minutes, la quintessence de l’art de l’orchestre et de son chef.
Le site de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg
Le site de Youri Temirkanov
Simon Corley
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