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Suzuki au sommet de son art Paris Théâtre des Champs-Elysées 11/13/2008 - et 5 (Valladolid), 6 (Madrid), 10 (Barcelona), 12 (Luxembourg), 15 (Dresden), 17 (Berlin), 21 (Ljubljana) novembre 2008 Jean-Sébastien Bach : Cantates «Herr, deine Augen sehen nach dem Glauben!», BWV 102, et «Wachet auf, ruft uns die Stimme», BWV 140 – Messe en sol mineur, BWV 235
Hana Blazíková (soprano), Robin Blaze (alto), Jan Kobow (tenor), Peter Kooij (basse)
Bach Collegium Japan, Masaaki Suzuki (direction)
Affluence des grands soirs au Théâtre des Champs-Elysées : il faut dire que les visites de Masaaki Suzuki dans l’Hexagone sont suffisamment rares pour attirer un public ravi d’écouter et de voir celui qui est à l’heure actuelle un des plus grands interprètes de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Né à Kōbe le 29 avril 1954, Masaaki Suzuki a, en effet, entrepris le vaste projet de graver l’intégrale des cantates de Bach pour le label Bis : force est de constater que, pour le moment, chacun de ses enregistrements est unanimement loué par la critique et adopté par les mélomanes. La réalité allait-elle, ce soir, égaler la gravure discographique ?
Le concert débutait par la Cantate BWV 102 « Herr, deine Augen sehen nach dem Glauben ! » (« Seigneur, mes yeux veulent découvrir ta foi »). S’inspirant fortement des cantates qui ont pu être composées à la même époque par son cousin, Johann Ludwig Bach (1677-1731), celle-ci a été créée le 25 août 1726 et fait partie des œuvres que Bach a dû composer pour célébrer les trente-sept jours de fête couvrant la période du 2 février au 22 septembre 1726. S’ouvrant par un large chœur à la rythmique psalmodique, elle instaure d’emblée un climat à la fois implorant et grandiose. D’une gestique remarquablement souple (à la différence d’un Herreweghe, qui peut parfois être plus tendu), Suzuki emmène ses troupes (des hautbois parfaitement attentifs à se fondre dans le paysage vocal et, surtout, des chœurs absolument remarquables) vers des sommets de musicalité qui comblent immédiatement les attentes des spectateurs. L’air qui suit fait dialoguer l’alto avec un hautbois ; si Robin Blaze s’avère d’une grande probité, le hautbois de Masamitsu San’Nomiya frappe par sa verdeur voire, parfois, la laideur du son et la brutalité de certaines attaques. L’intervention du ténor qui suit ne convainc bizarrement pas davantage. Accompagné par un violon piccolo jouant manifestement trop bas (la technique de Ryo Terakado étant, en revanche, impeccable), Jan Kobow adopte une ligne de chant assez neutre alors qu’il devrait par exemple être menaçant dans son air « Erschrecke doch, du allzu sichre Seele ! » (« Sois donc prise d’épouvante, ô âme trop sûre »). Comme elle avait débuté, la cantate se conclut néanmoins de façon admirable par un chœur à la fois implorant et majestueux.
Quelle joie, donc, de retrouver les seize chanteurs (dont les quatre solistes) du Bach Collegium Japan dans l’introduction de la Cantate BWV 140 « Wachet auf, ruft uns die Stimme (« Réveillez-vous, la Voix nous appelle »), créée le 25 novembre 1731. Ce chœur mêle les voix, les trois hautbois (dont un hautbois da caccia) et le reste de l’orchestre (dont un cor qui double les sopranos) dans une atmosphère totalement aérienne, détachée du monde terrestre, d’une infinie douceur : Masaaki Suzuki est impérial dans sa direction, relançant l’ensemble si cela s’avère nécessaire, veillant surtout à ne rien perturber tant l’équilibre s’avère idéal. Qu’il est difficile, même pour des solistes aussi irréprochables que Hana Blazíková et Peter Kooij, d’intervenir après un moment aussi unique… Pourtant, leur duo (celui entre l’âme et Jésus mais aussi entre la femme aimée et l’époux, parfaite synthèse entre le sacré et le profane) est très beau, accompagnés ici encore par un violon piccolo. L’air suivant, « Zion hört die Wächter singen », confié au ténor, est très célèbre puisqu’il s’agit du fameux Choral du petit veilleur. Jan Kobow le chante de façon trop timide, sa faible émission rendant son intervention moins intéressante qu’on aurait pu l’espérer… Après que la soprano et la basse ont de nouveau dialogué, la cantate se termine comme il se doit par un chœur qui fait office de réjouissance, nuptiale autant que musicale.
La seconde partie du concert était consacrée à la Messe en sol mineur BWV 235 dont on ignore l’essentiel (sa composition datant vraisemblablement des années 1735-1740). Improprement appelée « Messe brève », elle fait partie d’un ensemble de quatre messes dont le matériau de base résulte en partie de la reprise de certaines cantates préexistantes. Ainsi, cette Messe BWV 235 s’inspire très fortement de la Cantate BWV 187 « Es wartet alles auf dich » puisque les numéros 1, 3, 4 et 5 de la cantate sont devenus les numéros 6, 4, 3 et 5 de la messe… Le chœur introductif reprend, peu ou prou, celui de la Cantate BWV 102, dans un rythme de houle, parfaitement rendu par des chanteurs impliqués dans la moindre note, dans le moindre soupir. Le « Gloria in excelsis deo » est également superbe : le motif fugué, opposant les hautbois aux cordes (dont la cohésion doit être soulignée), entraîne l’auditeur dans un véritable tourbillon, apaisé seulement le temps d’une brève parenthèse (« Et pais sur la terre aux hommes qu’Il aime »). Se succèdent ensuite la basse, l’alto (Robin Blaze, de nouveau remarquable) dans un air d’une grande théâtralité (« Domine Fili unigenite ») et, enfin, le ténor. Le vaste chœur qui conclut la Messe frappe, à l’image de ses prédécesseurs, par sa dimension autant spirituelle que musicale et par la perfection de son interprétation.
Grand triomphateur de la soirée, Masaaki Suzuki, petit homme à la barbe et aux cheveux blancs, reçoit une ovation justement méritée avant de conclure le concert par la reprise du chœur final de la Cantate BWV 140. Peut-on simplement regretter qu’il n’ait pas préféré redonner le chœur introductif qui, au-delà des merveilles entendues par ailleurs, restera sans aucun doute un moment irréel qu’on aura bien du mal à oublier... ?
Le site du Bach Collegium Japan
Sébastien Gauthier
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