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Divertissement festivalier Baden-Baden Festspielhaus 10/03/2008 - et 5 octobre* 2008 Gioacchino Rossini : Il barbiere di Siviglia Anna Bonitatibus (Rosina), Lawrence Brownlee (Almaviva), Franco Vassallo (Figaro), Maurizio Muraro (Bartolo), Reinhard Dorn (Don Basilio), Manuela Bisceglie (Berta), Roman Grübner (Fiorello, Ufficiale)
Balthasar-Neumann-Chor, Balthasar-Neumann-Ensemble, Thomas Hengelbrock (direction musicale)
Bartlett Sher (mise en scène), Michael Yeargan (décor), Catherine Zuber (costumes), Christophe Akerlind (lumières) A. Bonitatibus, L. Brownlee, M. Muraro (© Andrea Kremper)
Principal point d’attraction du bref Festival d’Automne 2008, réunissant sur quelques jours au Festspielhaus de Baden-Baden un beau groupe de têtes d’affiche, cette production du Barbier de Séville a été empruntée au Metropolitan Opera. Le transport et l’assemblage d’un dispositif scénique plutôt léger (Michael Yeargan) n’a pas dû occasionner de difficulté technique majeure : une toile de fond neutre, une kyrielle de portes qui s’ouvrent et se ferment sur une absence de murs, quelques meubles indispensables, le tout se déplaçant beaucoup à vue pour délimiter au fur et à mesure les différents espaces de jeu. L’ensemble n’est pas follement esthétique (et de surcroît aplati par les éclairages, souvent limités à un plein feux jaunâtre) mais sait renouveler fréquemment l’intérêt, l’œil restant cependant davantage attiré par les beaux costumes de Catherine Zuber, à la fois imaginatifs et respectueux de la lettre du livret.
Du metteur en scène Bartlett Sher, que l’on connaît davantage en Europe depuis son récent Roméo et Juliette de Gounod à Salzbourg, on apprécie le travail efficace, certes dépourvu de véritable originalité mais qui possède souvent un certain sens du rythme, appréciable en particulier dans les ensembles, menés avec une verve et un rien de nonsense bien adaptés à une musique qui doit constamment fuser et pétiller. La gestion des airs paraît en revanche moins inspirée, les réussites ponctuelles dépendant ici surtout des qualités de comédien de chaque chanteur, et là ce sont évidemment les vieux briscards du répertoire bouffe qui s’en sortent le mieux, avec des interventions de Basilio (un air de la calomnie désopilant) et de Bartolo qui resteront aisément gravées dans les mémoires.
De la direction de Thomas Hengelbrock, attendue comme une dimension supplémentaire voire novatrice, on apprécie surtout un véritable sens du détail, tour à tour insolite, déstabilisant, cocasse... La verdeur relative du Balthasar-Neumann-Ensemble (dont l’originalité semble toutefois inversement proportionnelle au nombre de musiciens « à l’ancienne » présents dans la fosse : en effectif plus étoffé le son paraît simplement plus sombre et mat, voire incertain, que celui d’un orchestre conventionnel...) permet ici ou là de faire entendre des alliages inattendus, voire à l’intérieur de la trame orchestrale des contre-chants passant d’habitude inaperçus. Le revers de ces surprises étant l’évident manque d’unité du résultat, l’implacable mécanique rossinienne paraissant perturbée par des incidents de parcours, l’énergie frénétique des départs ne compensant qu’insuffisamment l’absence de certains moments de folie, qui ne peuvent exploser vraiment qu’à l’issue d’une série impeccable d’enchaînements d’engrenages où pas un cran ne doit manquer. Ici Thomas Hengelbrock paraît avoir encore beaucoup apprendre à l’école rossinienne d’un Abbado, d’un Gelmetti ou d’un Chailly. Une direction en devenir davantage qu’un accomplissement, donc, dont on peut s’étonner qu’elle puisse être proposée à titre d’attraction dans un festival de prestige (mais cette confusion des missions, entre laboratoire et lieu d’excellence, est finalement ce qui mine aujourd’hui toutes les grandes manifestations festivalières internationales...).
Vocalement le niveau est plus homogène, même si tel ou tel timbre peut moyennement plaire (en la matière le chant rossinien est de toute façon un domaine d’exception, les plus belles voix n’y étant pas toujours perçues comme les plus adéquates). On peut ainsi penser que le Figaro de Franco Vassallo, même s’il possède de superbes moyens de baryton-basse, est un peu lourd pour le rôle de Figaro, qu’il investit pourtant avec une présence scénique exceptionnelle. Au contraire l’Almaviva de Lawrence Brownlee paraît parfaitement en situation (ce qui lui permet d’affronter le terrible air final « Cessa di piu resistere », souvent prudemment omis), mais la minceur de son timbre et le systématisme de son émission, avec de surcroît une certaine tendance à glisser sur l’enveloppe sonore des vocalises plutôt que d’en explorer les détails, laisse musicalement sur sa faim. Aucune réserve en revanche pour l’étourdissante Rosina d’Anna Bonitatibus, ravissante comédienne et fine mouche, qui sait exploiter chaque instant de sa ligne de chant comme un avantage pour mieux briller. Et du côté des voix plus usées, impossible de résister à la faconde de Reinhard Dorn en Don Basilio (on en rit encore), ni à l’enflure pompeuse du Bartolo de Maurizio Muraro.
En définitive une soirée roborative pour ce début d’automne, même si les vraies gourmandises rossiniennes n’y sont parfois qu’entrevues. Accueil en tout cas expansif d’un public ravi, où l’on relève au premier rang du balcon la présence quelque peu inattendue de Pierre Boulez (!), venu s’amuser en voisin...
Laurent Barthel
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