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La Fiancée vendue enfin achetée par l’Opéra

Paris
Palais Garnier
10/13/2008 -  et les 11, 14, 17, 22, 26, 28, 31 octobre & 2 novembre
Bedřich Smetana : La Fiancée vendue
Oleg Bryjak (Krušina), Pippa Longworth (Ludmila), Christiane Oelze (Mařenka), Štefan Kocán (Micha), Helene Schneiderman (Háta), Christoph Homberger (Vašek), Ales Briscein (Jeník), Franz Hawlata (Kecal), Heinz Zednik (le Maître de manège), Amanda Squitieri (Esmeralda), Ugo Rabec (l’Indien)
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Jiří Bělohlávek (direction)
Gilbert Deflo (mise en scène)


A partir de Mozart, de Rossini, de l’opéra-comique français, Smetana a composé un opéra-comique national, à la fois pétillant et mélancolique, où l’amour, pour s’éprouver, se tend à lui-même des pièges. Il y confirme un don mélodique qui n’appartient qu’à lui, ainsi qu’un sens raffiné de l’instrumentation et des timbres. Créée en 1866, La Fiancée vendue n’avait pas encore été donnée à l’Opéra de Paris, alors que Londres et New York l’avaient vite adoptée, sans parler évidemment des empires centraux – la salle Favart, cependant, la révéla en 1928 ; si le bilan de Gérard Mortier sera mitigé, comme tout bilan, on lui devra la découverte de chefs-d’œuvre aussi divers que Cardillac et La Juive, La Fiancée vendue et Le Roi Roger. Espérons que cette Fiancée donnera l’envie de découvrir les opéras plus héroïques de Smetana, à commencer par Dalibor.


La direction de Jiří Bělohlávek constitue une garantie d’authenticité. Au début, il privilégie la vigueur des rythmes plus que le jaillissement des mélodies, cravachant littéralement les musiciens dans une Ouverture endiablée. Soumis à rude épreuve, l’orchestre, qui joue donc la partition pour la première fois, assume crânement, jusqu’au bout. La baguette, dont l’énergie paraît inépuisable, manque cependant un peu de rondeur dans les deux premiers actes. Au troisième, l’équilibre entre le chef et les musiciens est parfait, aussi bien dans les rythmes bondissants de la Skočná que dans les effusions de l’air de Mařenka. Les puristes auront beau jeu de regretter les couleurs et les parfums des orchestres tchèques, et de faire remarquer que l’orchestre de l’Opéra, dans Smetana, a quelque chose d’exotique : refuserait-on d’entendre Carmen ou Faust à Prague ? Ils devront aussi saluer la performance du chœur, si important dans La Fiancée.


Mařenka appellerait une voix plus fraîche et plus fruitée, au médium plus consistant, que celle de Christina Oelze, un legato plus subtil aussi ; on s’attache pourtant à cette fiancée vendue très probe musicalement, investie dans son personnage ; un rien timide au début, elle prend de plus en plus d’assurance. Ales Briscein s’avère plus assuré en Jeník, voix sonore au timbre clair, homogène sur toute la tessiture : on l’aimerait seulement plus nuancé, surtout dans son air, où il chante tout forte, alors qu’il faudrait se rappeler par exemple le « Elle ne croyait pas » de Mignon, sans parler des airs de ténor mozartiens. Franz Hawlata, qui n’a jamais su vraiment trouver sa tessiture exacte, est en revanche une bonne surprise : la voix passe beaucoup mieux la rampe qu’à Bastille, même si l’extrême grave de Kecal se cherche un peu ; il ne sombre jamais dans l’histrionisme et son marieur reste stylé. Christoph Homberger, lui, tombe dans le piège tendu à tous les Vašek : il sacrifie le chant à la composition, qui ne gagne rien – c’est tout le contraire – au négligé vocal. Les rôles secondaires sont bien tenus, à l’exception de la Ludmila de Pippa Longworth, usée jusqu’à la corde. Hier Vašek d’anthologie, Heinz Zednik se recycle en Maître de manège, comme le fit le baryton Erich Kunz, pour promouvoir l’Esmeralda trop lourde d’Amanda Squitieri. L’Indien n’a guère à chanter, assez pourtant pour que l’on remarque, une fois de plus, le jeune Ugo Rabec.


De Gilbert Deflo on savait ce que l’on pouvait attendre : un travail sans histoire, de bonne facture, purement fonctionnel. Au moins évite-t-il le kitsch de la reconstitution, se contentant de placer ses personnages dans le rouge d’un décor unique de parc d’attraction et de cirque, avec des baraques qu’on croirait faites pour Petrouchka, ce qui convient bien au dernier acte, où il se souvient de son Amour des trois oranges (lire ici). Cette production plaisante mais routinière, où la direction d’acteurs reste convenue et le comique plat, ne renouvelle évidemment pas notre connaissance de La Fiancée vendue, dont les subtilités et les quiproquos ont pourtant tout pour stimuler l’imagination d’un metteur en scène. Même s’il est plus à l’aise ici que dans son malheureux Bal masqué (lire ici), Gilbert Deflo en a quand même beaucoup manqué.



Didier van Moere

 

 

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