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Brahms apprivoisé Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 09/26/2008 - Johannes Brahms : Concerto pour piano N° 1
Richard Strauss : Ein Heldenleben
Andras Schiff (piano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marc Albrecht (direction) Invité de marque du concert inaugural de la saison 2008/2009 de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Andras Schiff impose une lecture inhabituelle du Premier Concerto pour piano de Brahms, interprétation qui cherche à éviter la « grande manière » dont on abuse parfois dans cet ouvrage particulièrement copieux. Donc pas de grands coups de patte, pas d’immersion dans les profondeurs du piano romantique mais au contraire une analyse claire dont chaque détail ressort, y compris dans les passages les plus chargés en lignes intermédiaires. Loin des brumes d’Allemagne du Nord auxquelles ce concerto est fréquemment associé on baigne ici dans une attachante luminosité viennoise, la conduite de la ligne faisant d’ailleurs fréquemment penser aux Sonates voire aux Lieder de Schubert. Une telle vision peut surprendre mais l’accomplissement pianistique, la beauté du toucher, la clarté des articulations (dont quelques magnifiques appogiatures d’un naturel parfait), sont tels qu’on ne peut que se laisser entraîner sans grande réserve dans cette visite de la partition finalement plus ludique, voire tout simplement plus agréable, que d’habitude. Au point de nous démontrer parfois clairement que la forme géante et peu sociable ce concerto ne réussit pas toujours à camoufler le terreau sur lequel il a poussé : celui du concerto de soliste romantique utilitaire et brillant tel que l’avaient codifié à l’époque Moscheles, Herz ou Litolff.
Pour convaincante qu’elle soit, l’expérience ne peut paraître complètement aboutie face à un accompagnement aussi conséquent que celui de Marc Albrecht, qui ne renonce pas à une esthétique de grand concerto post-romantique, avec un orchestre très chargé en nombre et des phrasés taillés à la hache. Les effets obtenus sont impressionnants, le soliste disposant par ailleurs d’une telle réserve de puissance qu’il n’est jamais couvert, cela dit on éprouve continuellement l’impression qu’Andras Schiff et Marc Albrecht n’interprètent pas la même œuvre. Et on souhaiterait parfois de la part de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg un effort d’écoute mutuelle plus constant, toute l’exécution de la partition n’égalant pas, et de loin, la finition très travaillée de certains accords (superbe ensemble à l’extrême fin d’un Adagio par ailleurs pas toujours très soigné). Le soutien délicat de l’entrée du soliste (trompettes, timbales et pizzicati des cordes) paraît également assez brouillon. Des détails, certes, mais qui font tache en regard d’une interprétation soliste qui donne l’impression de dominer de bout en bout son sujet.
Dans le poème symphonique Ein Heldenleben de Richard Strauss, véritable pièce de résistance pour une formation qui ambitionne un niveau international, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg fait en tout cas valoir de remarquables progrès. La petite harmonie affiche une forme impressionnante, les cuivres détonent très peu, les ensembles sont impeccablement réalisés (formidable combat du héros, où Marc Albrecht fait surgir une succession d’images d’une lisibilité quasi-cinématographique). Le gros problème résiduel que l’orchestre se doit cependant de résoudre reste la passivité des cordes aiguës, les seconds violons en particulier, qui ne jouent presque jamais de rôle moteur. Dans les premières mesures de présentation du héros la cohésion des violons pêche encore à de trop nombreuses reprises, laissant beaucoup de phrases somptueuses dans un état vaguement marécageux. Une lacune connue, qui ne fait que se creuser à mesure que s’allonge la très longue période de vacance du poste de premier violon de l’orchestre, et à laquelle on tente manifestement de remédier en invitant ponctuellement à l’essai de nouveaux Konzertmeister potentiels. Ce soir-là, c’est au tour de la jeune Vivica Percy : timbre enchanteur, vrais moyens de jeune virtuose pleine d’avenir, mais peut-être pas pour l’instant une présence musicale exceptionnelle (la caractérisation dramatique du magnifique solo La compagne du héros, description littérale du tempérament capricieux de l’épouse du de Richard Strauss, semble ici relativement timide). Espérons en tout cas de que le prochain concours de recrutement annoncé pour ce poste essentiel sera enfin fructueux.
Laurent Barthel
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