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Ainsi la nuit, ainsi le jour

Geneva
Grand Théâtre
10/09/2008 -  Et les 15, 21, 28, 30 octobre & 7 novembre.
Carl Maria von Weber : Der Freischütz
Rudolf Rosen (Ottokar), Peter Wimberger (Kuno), Ellie Dehn (Agathe), Olga Pasichnyk (Ännchen), Jaco Huijpen (Kaspar), Nikolai Schukoff (Max), Feodor Kuznetsov (Un ermite), Alexander Puhrer (Kilian), Jean Lorrain (Samiel), Elisabeth Gillming, Iana Iliev, Mi-Young Kim, Mathilde Nicolaus (Quatre demoiselles d’honneur)
Chœur du Grand Théâtre, Cing-Lien Wu (direction), Chœur Orpheus de Sofia, Krum Maximov (direction), Orchestre de la Suisse romande, John Nelson (direction)
Olivier Py (mise en scène et lumières), Pierre-André Weitz (décors et costumes)


(© GTG/Magali Dougados)



Des panneaux de bois noir, des personnages vêtus de sombre : la marque de fabrique d’Olivier Py. Dans ce noir, pourtant, rien de monochrome : c’est son côté Soulages. Il figure ici les ténèbres, domaine d’élection du romantisme allemand, qu’il visite à travers cette Trilogie du diable conçue à Genève avec Jean-Marie Blanchard, un des plus inventifs directeurs du moment : outre Le Freischütz, on peut voir La Damnation de Faust et Les Contes d’Hoffmann. Tout naturalisme, on s’en doute, se trouve ici évacué au profit du symbole : si les panneaux se déplacent sans cesse, composant des murs, des tours, des pentes, c’est que notre conscience oscille sans cesse, entre le jour et la nuit, la certitude et le mystère, la raison et la magie, à l’image d’un Max déstructuré, perdu entre deux mondes. Les autres, nous dit le metteur en scène, ont choisi : « Agathe est mystique, Ännchen rationaliste, Kaspar sensualiste ». Le héros – ou plutôt l’anti-héros, loser lynché au premier acte - devra apprendre que l’initiation à la lumière passe par les mystères de l’obscurité, là où errent fantômes et feux follets, là où il se heurte partout à l’aile de l’aigle qu’il a abattu, là où la lune brouille les repères plus qu’elle n’éclaire : il n’est pas, du coup, si loin de Faust. Olivier Py éclaire donc l’œuvre de l’intérieur, répugnant au bric-à-brac de la fantasmagorie d’une tradition éculée, que remplacent de subtils jeux de lumière qui sont autant de fantasmes et de phobies projetés : c’est à travers ses éclairages que le spectacle trouve une partie de son rythme, pas seulement dans cette façon très particulière qu’a le metteur en scène d’animer l’espace par des déplacements très étudiés des chanteurs et du chœur, toujours an accord avec la musique. Là réside finalement le classicisme novateur d’Olivier Py : il s’accorde avec la partition, qu’il creuse sans la dynamiter, à l’inverse de certains de ses confrères. Le rouge du diable – doublure du manteau de Kaspar, torse de Samiel barbouillé de vermillon – n’en acquiert que plus de force, surtout lorsque ce dernier, à la fin, se retrouve attablé en face de l’Ermite, parodie du Prologue dans le ciel du Faust goethéen, une façon de faire le lien avec La Damnation… et d’assurer la cohérence de la trilogie.


Musicalement, la production ne donne guère que des satisfactions. John Nelson dirige un orchestre que l’on sent pris en main par Marek Janowski : l’homogénéité des pupitres est parfaitement assurée – cors impeccables, beaux solos de violoncelle et d’alto dans les airs d’Agathe et d’Ännchen au troisième acte. Le chef se garde bien de wagnériser la partition, montrant plutôt, en berliozien, ce qui rapproche Le Freischütz de La Damnation alors qu’on a trop tendance à tirer l’œuvre vers la fin de siècle. Et l’on comprend, en écoutant cette direction qui concilie le mystère et la clarté, qui privilégie les couleurs plutôt que les effets de masse, à quel point l’opéra de Weber a pu fasciner Berlioz : sans la Gorge-aux-Loups le Songe d’une nuit de sabbat ne serait sans doute pas ce qu’il est.


Nikolai Schukoff, malheureux Siegfried et Don José inégal, trouve en Max un emploi adapté à sa voix centrale, à l’émission assez souple pour en assurer les nuances, avec un timbre un rien rêche qui ne messied pas à l’écorché vif imaginé par Olivier Py. On pourra trouver que la voix d’Ellie Dehn manque un peu de lumière pour un personnage dont on fait souvent un être angélique et désincarné : tourmentée, angoissée, Agathe rejoint plutôt ici Marguerite. Redoutables pour le souffle et la ligne, « Leise, leise » et la Cavatine sont chantés avec un beau legato, même si l’on y sent un rien d’application. La petite voix d’Olga Pasichnyk se projette bien et l’on aime bien cette Ännchen délurée et aguicheuse à défaut d’être vraiment charmeuse, annonçant un peu la Zerbinetta straussienne. Le Kaspar de Jaco Huijpen, en légère coquetterie avec la barre de mesure au premier acte, a raison de ne pas confondre la noirceur – relative d’ailleurs s’agissant du timbre – et l’histrionisme en Kaspar, le rendant ainsi d’autant plus inquiétant : on gagne toujours à bien chanter ce suppôt de Samiel. Il faut enfin souligner la qualité des rôles secondaires, essentiels pour un bon Freischütz : superbe Ottokar de Rudolf Rosen, Ermite profond d’Alexander Kuzentsov – un futur Kaspar ? –, noble Kuno de Peter Wimberger. Bref, si personne n’est exceptionnel, l’ensemble séduit par son homogénéité. Et les chœurs, sans lesquels il n’y a pas de Freischütz qui vaille, sont superbes. Pour le premier volet de sa trilogie, le diable a réussi son coup – ou plutôt le metteur en scène, qui vient saluer tout de rouge vêtu, la plume au chapeau, triomphalement reçu par un public genevois moins conservateur que naguère.



Didier van Moere

 

 

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