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Frissons de cinéma à l’opéra

München
Nationaltheater
07/29/2008 -  
Wolfgang Rihm : Das Gehege
Gabriele Schnaut (Die Frau), Steven Barrett (Der Adler)
Richard Strauss : Salome, opus 54
Wolfgang Schmidt (Herod), Iris Vermillion (Herodias), Angela Denoke (Salome), Alan Held (Jochanaan), Wookyung Kim (Narraboth), Daniela Sindram (Ein Page der Herodias), Ulrich Ress (Erster Jude), Kenneth Roberson (Zweiter Jude), Tommaso Randazzo (Dritter Jude), Kevin Conners (Vierter Jude), Alfred Kuhn (Fünfter Jude), Christian Rieger (Erster Nazarener), Markus Herzog (Zweiter Nazarener), Steven Humes (Erster Soldat), Andreas Kohn (Zweiter Soldat), Rüdiger Trebes (Ein Cappadocier), Stephanie Hampl (Eine Sklavin), Steven Barrett (Engel des Todes)
Bayerisches Staatsorchester, Kent Nagano (direction musicale)
William Friedkin (mise en scène), Hans Schavernoch (décors), Petra Reinhardt (costumes), Mark Jonathan (lumières), David Bridel (chorégraphie)


Etonnant Kent Nagano, susceptible d’alterner sans préavis le chaud et le froid, le meilleur et l’insignifiant. On avait déjà entendu le chef américain diriger le même spectacle lors d'une première série de représentations, vision analytique d’une sobriété plutôt déplacée, qui ne prenait de l’ampleur qu’à l’occasion de quelques paroxysmes de violence très ciblés. Or dix-huit mois plus tard, divine surprise, tout a changé : une direction flamboyante, torrentielle, qui met à nu la lascivité de l’écriture straussienne avec la même acuité que naguère Karajan ou Sinopoli. Difficile d’interpréter cette mutation autrement qu’en l’attribuant à une prise progressive d’assurance face à l’orchestre, au fil des soirées d’une production fréquemment jouée. Le problème pour une maison d’envergure internationale étant quand même que s’il faut attendre à chaque fois dix représentations avant que le maître des lieux domine son sujet, cela risque à terme de s’avérer nuisible à la renommée internationale de l’établissement.


Même Das Gehege de Wolfgang Rihm, brève scène d’opéra donnée en guise de lever de rideau, paraît bénéficier de cette assurance nouvelle, la partition, à vrai dire plutôt utilitaire qu’inspirée, apparaissant tout à coup d’une belle efficacité théâtrale. L’écriture de Rihm évoque tout et rien à la fois, avec des nappes orchestrales changeantes d’une facture plutôt luxueuse et quelques clins d’œil à Strauss (l’ouvrage a été conçu expressément pour précéder Salomé dans cette production). Cela dit l’écriture vocale est belle et ce monodrame pour soprano et orchestre paraît finalement fonctionner aussi bien, voire mieux, que l’Erwartung de Schoenberg. Dans la pénombre du zoo de Berlin, la nuit, une femme s’introduit clandestinement et libère un aigle de sa cage en vue de le provoquer, de chercher à réveiller chez lui des pulsions d’ordre sexuel. Finalement le volatile (en fait le symbole d’une nation allemande fraîchement réunifiée) se révèle indifférent et amorphe, et sa libératrice frustrée finit par le mettre en pièces. Curieux scénario névrotique, basé sur la pièce contemporaine Schlussszene de Botho Strauss, que le compositeur utilise à bon escient, dégageant bien ce que la situation décrite a d'à la fois pathétique et dérisoire. Dans le rôle de la femme, Gabriele Schnaut a elle-aussi approfondi son interprétation, toujours un peu monolithique mais efficace.


Egalement mise en scène par le cinéaste américain William Friedkin (réalisateur naguère de L’Exorciste, film glauque qui fit couler beaucoup d’encre), la production de Salomé tire une grande partie de sa force du puissant décor de Hans Schavernoch, dont les praticables concentriques bougent constamment à vue en modifiant lignes de fuite et hauteurs (rénovée il y a une quinzaine d’années déjà, la scène de l’Opéra de Munich possède des ressources techniques étonnantes, mais qui sont rarement exploitées de façon aussi virtuose). Sans jamais commettre d’infidélité au livret, voire se cantonnant à des costumes plutôt traditionnels (belles couleurs des tissus, d’inspiration clairement Jugendstil), William Friedkin réussit un spectacle qui porte très efficacement sur les nerfs. L’extraordinaire Danse des sept voiles, où Salomé vient vamper à peu près tout le monde, du page au quintette des juifs voire sa propre mère, laisse deviner un long passé de jeux sexuels dont la dernière péripétie en cours n’est finalement qu’un épisode supplémentaire. Mais on admire encore davantage dans ce spectacle sa remarquable focalisation sur l’essentiel, omettant tout accessoire non strictement nécessaire (donc ni chandeliers, ni sièges, ni tapis, ni fruits, ni couronne de fleurs, et même pas de plateau d’argent pour la livraison de la tête de Jochanaan...) sans que cela s’avère du tout gênant.


On imagine mal ce que pourra devenir la production quand la Salomé d’Angela Denoke l’aura quittée, tant ou presque ici repose sur sa prestation, physiquement et vocalement déchaînée. Constamment en mouvement, semblant gouvernée toute entière par ses pulsions de femme-enfant (incessant jeu de jambes, largement mis en valeur par une robe noire vertigineusement fendue), son incarnation culmine dans la touffeur d’une indescriptible scène d’amour finale, où elle presse longuement la tête saignante de Jochanaan sur son buste nu. Vocalement la prouesse est encore plus saisissante, cette chanteuse souvent glaciale dans d’autres rôles parvenant ici à rendre son timbre continuellement expressif, du haut en bas d’une tessiture d’une homogénéité extraordinaire. Deux nouveaux venus dans la distribution : le Jochanaan sonore d’Alan Held et le Narraboth de Wookyung Kim, vocalement intéressant mais scéniquement emprunté, qui fait amèrement regretter la prestance de Nikolai Schukoff lors des premières représentations. Hérode toujours idéal de Wolfgang Schmidt, en tandem avec l’impayable Hérodiade d’Iris Vermillion, très anglaise, avec ses attitudes d’aristocrate décatie au passé trouble dans un roman d’Agatha Christie (et de surcroît beaucoup plus en forme que lors des premières représentations, où elle piaillait beaucoup). Bref, l’Opéra de Munich comme on l’aime, au sommet de ses formidables capacités.



Laurent Barthel

 

 

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