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Rentrée tonitruante

Paris
Salle Pleyel
08/25/2008 -  
Arnold Schönberg : Variations pour orchestre, opus 31
Richard Wagner : Die Walküre, acte I

Waltraud Meier (Sieglinde), Simon O’Neill (Siegmund), René Pape (Hunding)
West-Eastern Divan Orchestra, Daniel Baremboim (direction)


D. Barenboim (© Frédérique Toulet/Salle Pleyel)



Encore plus précoce que l’an dernier (voir ici), la rentrée anticipée de la salle Pleyel démarre sous les meilleurs auspices pour lancer une saison musicale qui verra se succéder les formations les plus prestigieuses et les interprètes les plus précieux, la spécialisation de la salle dans le répertoire classique n’empêchant pas quelques incursions heureuses dans le domaine des musiques du monde (avec notamment Maria Bethânia, Salif Keïta, Milton Nascimento, Youssou Ndour, Ravi Shankar), du jazz comme du pop-rock (Ahmad Jamal, Air, Michel Legrand, John Scofield, Chucho Valdès) ainsi que de la chanson (Paolo Conte, Etienne Daho, Noa).


Les deux formations–piliers de la salle Pleyel resteront néanmoins l’Orchestre de Paris (rentrée le 18 septembre) et l’Orchestre philharmonique de Radio-France (rentrée le 19 septembre), qui à elles seules donneront près de soixante concerts en soirée. Si les orchestres nord-américains (avec New York et Montréal) seront moins à l’honneur que l’an dernier, on guettera avec intérêt la venue des phalanges européennes (Barockorchester de Fribourg, Concentus Musicus de Vienne, Concertgebouw d’Amsterdam, DSO et Rundfunk de Berlin, Festival de Budapest, Gewandhaus de Leipzig, NDR de Hambourg, Révolutionnaire et Romantique, Santa Cecilia de Rome, Suisse Romande, Symphonique de Londres, Tonhalle de Zurich) sans négliger les orchestres de province (Toulouse, Bordeaux, Lille, Lyon, Montpellier, Strasbourg) ou franciliens (Opéra national de Paris, National d’Île-de-France, Pasdeloup, Colonne).


Quant aux interprètes, l’excellence des solistes (parmi lesquels Aimard, Alagna, Anderson, Angelich, Bartoli, Bell, Bonney, Brendel, Bronfman, Capuçon, Ciccolini, DiDonato, Freire, Goerne, Grimaud, Hahn, Hampson, Hvorostovsky, Kavakos, Kissin, Lang Lang, Lugansky, Lupu, Maisky, Meier, Muraro, Norman, Otter, Paik, Perlman, Pollini, Repin, Say, Schäfer, Stemme, Tetzlaff, Thibaudet, Uchida, Villazon, Voigt, Zukerman) le disputera à celle des chefs (Boulez, Christie, Chung, Dohnanyi, Dudamel, Eötvös, Eschenbach, Fedosseyev, Fischer, Frühbeck de Burgos, Gardiner, Gergiev, Harnoncourt, Jacobs, Janowski, Paavo Järvi, Jordan, Koopman, Maazel, McCreesh, Metzmacher, Minkowski, Nagano, Pappano, Pletnev, Russell Davies, Salonen, Saraste, Savall, Sokhiev, Tilson Thomas, Zinman).


Habitude moins originale, on entendra beaucoup de Beethoven, de Brahms et de Mahler (avec un distingué cycle mahlérien à l’orchestre de Paris où l’on retrouvera Thomas Hampson dans les Lieder eines fahrenden Gesellen, Matthias Goerne dans Des Knaben Wunderhorn, Christine Schäfer dans les Rückert Lieder et Nathalie Stutzmann dans les Kindertotenlieder)… lors d’une saison dont les moments forts sont évidemment délicats à repérer ex ante, même si l’on sera plus particulièrement attentif à un «Pollini Project» qui s’annonce de haute tenue (et au cours duquel Bach, Beethoven et Brahms seront mis en parallèle de l’Ecole de Vienne, de Stockhausen et de Boulez), à un Saint François d’Assise de Messiaen annoncé dans une «version oratorio» (avec Chung et le Philharmonique de Radio-France, lesquels interpréteront également la Turangalîla-Symphonie avec Muraro le 3 octobre… qu’il sera intéressant de comparer à celle de Thibaudet, Eschenbach et l’Orchestre de Paris le 10 décembre), au «cycle Prokofiev» de Valery Gergiev avec l’Orchestre symphonique de Londres ou encore aux adieux d’Alfred Brendel dans le Concerto «Jeunehomme» de Mozart.


Si c’est bien la rentrée pour la salle Pleyel, c’est par contre la fin de la – désormais traditionnelle – tournée annuelle du West-Eastern Divan Orchestra (WEDO). Comme en 2006 (voir ici) et en 2007 (voir ici), la fin du mois d’août permet ainsi de mesurer les progrès d’une formation créée en 1999 (à l’initiative de Daniel Barenboim et d’Edward Saïd) et désormais parvenue à maturation. Au terme d’un périple parti d’Espagne et poursuivi en Italie (en lieu et place du concert prévu à Amman, en Jordanie, mais annulé pour des raisons de sécurité), en Allemagne, au Danemark, en Norvège et en Suède, l’association Schönberg/Wagner est offerte à la seule salle Pleyel, la tournée du WEDO ayant par ailleurs mis à l’honneur le Concerto pour trois pianos de Mozart, la Sinfonia concertante de Haydn et la Quatrième symphonie de Brahms.


Difficile de ne pas être touché par le message de paix et de vivre-ensemble porté par cet orchestre, dont le nom a – rappelons-le – été choisi en écho au recueil de poèmes de Goethe West-östlicher Divan (signe de l’attachement du poète allemand à la Perse et aux pays arabes) et dont le premier concert a été donné à Weimar à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Goethe. Le WEDO réunit harmonieusement de jeunes musiciens venus d’Israël, de Palestine et des pays arabes du Proche et Moyen-Orient. Dans un discours offert en guise de bis, Daniel Barenboim a d’ailleurs su trouver les mots adéquats pour souligner le caractère singulier de ce concert : «chaque musicien a pris un risque énorme en venant ici (…) tout ce qui est interdit dans la société normale est ici. La plupart d’entre eux ne peuvent même pas se rendre visite pendant l’année». Décrivant le WEDO comme «un projet contre l’ignorance, l’ignorance de l’autre», le chef a formé un vœu auquel on ne peut que souscrire : «nous voulons aller, avec notre message humain, à Damas, à Beyrouth, à Ramallah, à Tel Aviv, au Caire et même à Téhéran». Partageant ce message, c’est un Pleyel archi-comble qui a offert un triomphe sans appel aux interprètes, prolongeant d’autant plus l’ovation que Daniel Barenboim, dans un geste aussi touchant qu’inhabituel, prend le temps d’embrasser, l’un après l’autre, chaque musicien de l’orchestre.


D’un point de vue strictement musical, l’émotion trouvait également matière à s’épanouir dans les deux œuvres au programme, toutes deux dirigées de mémoire par Daniel Barenboim. Comme ce dernier l’a souligné dans la presse à propos des Variations pour orchestre (1928) de Schönberg données en première partie, le simple fait qu’une formation dont la majorité des musiciens n’avait jamais joué dans un orchestre en 1999 soit capable d’interpréter l’une des partitions les plus exigeantes du répertoire illustre la progression de ce jeune ensemble (… dont l’un des violonistes est âgé d’une douzaine d’années seulement). L’acoustique sans concession de la salle Pleyel mettant à l’épreuve la cohérence et l’homogénéité des pupitres, lesquels manquent parfois de cohésion (vents) et de tranchant (cordes), on est forcé de constater que la progression du WEDO n’est pas tout à fait achevée. Parfois brouillons mais toujours engagés et heureux d’interpréter cette musique, les jeunes instrumentistes doivent encore trouver les clefs leur permettant de magnifier, avec moins de timidité et davantage de rigueur, les arrêtes de cette partition brûlante à laquelle ils donnent des couleurs curieusement plus postromantiques qu’expressionnistes.


Bien plus convaincant, le premier acte de La Walkyrie (1870) – donné en «version concert» mais bénéficiant d’un dispositif de sur-titrage en français – voit l’orchestre maintenir une chaleur et une tension continus grâce à la battue précise et alerte de Daniel Barenboim, devenu (depuis son premier Ring bayreuthien, il y a exactement vingt ans) l’un des très grands chefs wagnériens. Quelques approximations instrumentales ne gâchent en rien l’impression générale de force, jusqu’à l’emballement des dernières mesures. Après la somme d’abominations entendues ces dernières années, le Siegmund de Simon O’Neill rassure sinon séduit : la tessiture est assurément celle du rôle. Si le ténor – un peu gauche sur scène – manque de projection et de velouté (un «Winterstürme» poétique mais qu’on aimerait plus chaleureux, des «Wälse! Wälse!» bien tenus mais à la limite du démonstratif voire du poussif), l’incarnation vocale est réussie (la voix n’étant pas sans douceur ni sans force) et ne trahit nullement le personnage (ce qui est déjà beaucoup). Un cran au-dessus, le Hunding puissant et noir de René Pape n’appelle que des louanges.


Mais le trésor musical de ce concert résidait dans la Sieglinde d’une évidence bouleversante de Waltraud Meier : qu’après tant de Kundry et désormais d’Isolde, cette interprète soit capable d’offrir l’incarnation parfaite d’une jeune fille s’épanouissant en amante éperdue relève presque du miracle. Confondante de vérité scénique et vocale, Waltraud Meier se consume dans un personnage auquel elle parvient à donner vie, par la précision de la diction, par son expressivité de comédienne (tragédienne dès son entrée en scène), par la richesse de la voix et la plénitude de ses moyens (avec, toujours, cette émission nasale si singulière et parfois un peu basse qui est la marque de la cantatrice), jusqu’à un «Siegmund: so nenn ich dich!» valant, à lui tout seul, le déplacement salle Pleyel et faisant regretter que le prochain concert ne soit pas… l’acte II de La Walkyrie par la même équipe. Waltraud Meier, qui sera Isolde sur la scène de l’Opéra Bastille à la fin de l’année, reviendra à Pleyel chanter le Poème de l’amour et de la mer de Chausson, le 5 juin 2009. D’ici là, on aura pu juger de la qualité de la saison 2008-2009, dont le concert inaugural place la barre vraiment très haut.


Le site de la salle Pleyel
Le site de la fondation Barenboim-Said
Le site de Daniel Barenboim



Gilles d’Heyres

 

 

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