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D’un Bartók à l’autre

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/06/2008 -  Et les 14*, 18 & 23 août.
Bela Bartók : Quatre Pièces pour orchestre, opus 12 – Cantate profane – Le Château de Barbe-Bleue
Lance Ryan (le Fils), Falk Struckmann (le Père, Barbe-Bleue), Michelle DeYoung (Judith)
Chœur de l’Opéra de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, Peter Eötvös (direction)
Johan Simons (mise en scène)



(© Monika Rittershaus)



Quatre Pièces op. 12, la Cantate profane, Le Château de Barbe-Bleue, sans interruption : présenter dans cet ordre trois opus relevant de périodes différentes constituait un risque. C’est la direction de Peter Eötvös qui, par sa modernité, a résolu la question, au point qu’on aurait cru entendre un seul opéra, parfois sans paroles. Dès l’opus 12, le chef, loin de souligner les affinités debussystes de la partition, en propose une lecture très dramatique, comme s’il s’agissait d’un prologue symphonique à l’opéra. Plus que de l’impressionnisme français, on se rapproche de l’Ecole de Vienne, notamment dans le rythme de valse de la troisième pièce. L’orchestre, du coup, se défait de sa générosité sonore naturelle – mais pas de sa virtuosité - pour prendre des teintes crues, aiguiser les rythmes, adopter une verdeur de ton qui permettent de passer tout naturellement à la Cantate profane, dont la modernité paraît plus prophétique que jamais : Eötvös, après tout, n’est-il pas hongrois, n’est-il pas compositeur, n’a-t-il pas été le chef de l’Intercontemporain ? Cette direction minérale, rappelant un peu le Boulez d’hier, ne s’alanguit pas, dans l’opéra, à évoquer les trésors ou les fleurs du jardin, elle avance implacablement vers le dénouement, défiant même la majesté du début de la cinquième porte, où d’autres chefs feraient plutôt entendre le Zarathoustra straussien. Au risque d’assécher parfois la sonorité et de couvrir un peu les voix, l’orchestre devenant le personnage principal, bien que Michelle DeYoung et Falk Struckmann s’investissent pleinement dans leur rôle, dont ils n’offrent jamais un portrait univoque.


Il est vrai que Johan Simons, qui, après un Simon Boccanegra parisien contestable (lire ici et ici) et un Enlèvement au sérail zurichois, signe là sa troisième mise en scène d’opéra, a totalement revu les choses, avec la complicité du peintre Daniel Richter, icône de la peinture contemporaine allemande, adoptant un parti très différent dans la Cantate profane, à l’origine évidemment non destinée à la scène, et Barbe-Bleue. Pour la Cantate, on ne parlera pas vraiment de mise en scène, mais le gigantesque décor aux couleurs vives, avec un arbre rouge sang au milieu, un grand oiseau, rappelant diverses tendances de la peinture d’aujourd’hui et d’hier, fait de l’effet. Décor urbain, avec les têtes des choristes qui apparaissent dans des ouvertures. Dans la partie du fils, le jeune Lance Ryan n’arrive pas à monter à l’assaut de ses redoutables aigus, tandis que Falk Struckmann, avant d’être Barbe-Bleue, se montre très en voix. L’histoire de la métamorphose des neufs fils en cerfs ne pourrait-il pas, après tout, être un épisode de la vie antérieure du héros ? Mais pour Le Château, plus rien désormais que la pénombre sur une scène vide à l’exception d’un arbre noir et gris dont les branches pourraient former une toile d’araignée. Aucune porte, d’ailleurs, ne s’ouvrira et l’on ne verra pas les chambres du château. Les trois femmes de Barbe-Bleue se trouvent symbolisées par trois robes.


Volonté d’échapper à un symbolisme vaguement moyenâgeux, éculé et trop daté ? Le metteur en scène, en réalité, renverse les rapports au sein du couple : voilà Barbe-Bleue en uniforme, invalide de guerre, aveugle, cloué sur un fauteuil roulant, impotent et impuissant veillé par une Judith infirmière et amante. Le héros touche à sa fin, les sept portes renvoient à des souvenirs d’un passé révolu, que Judith voudrait réveiller pour le connaître enfin. C’est là où l’opéra rejoint la cantate : de même que les chasseurs sont devenus gibier, le maître est devenu esclave. Elle a beau se montrer aimante ou coquette, sensuelle ou cruelle jusqu’au sadisme, dominée ou dominante, elle ne pourra qu’assister à la mort de celui dont elle est sans doute la compagne depuis longtemps. C’est au Beckett de Fin de partie que se réfère explicitement la production. Elle ne manque pas de force, alors qu’il était difficile d’adapter une vision aussi ascétique au plateau du grand Festspielhaus, grâce à une direction d’acteurs très concentrée et à des chanteurs, on l’a dit, jouant parfaitement le jeu. Michelle DeYoung trouve dans sa voix des couleurs pour faire vibrer cette Judith écorchée vive, non sans éprouver des difficultés dans les aigus, alors que Falk Struckmann, parfois un peu brut, est magnifique en Barbe-Bleue vaincu et pitoyable.



Didier van Moere

 

 

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