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Cherche Siegfried… et Brünnhilde si affinités

Bayreuth
Festspielhaus
07/31/2008 -  Et les 11* & 23 août
Richard Wagner : Siegfried
Stephen Gould (Siegfried), Gerhard Siegel (Mime), Albert Dohmen (le Voyageur), Andrew Shore (Alberich), Hans-Peter König (Fafner), Christa Mayer (Erda), Linda Watson (Brünnhilde), Robin Johannsen (l’Oiseau de la forêt)
Orchestre du Festival, Christian Thielemann
Tankred Dorst (mise en scène)



(© Bayreuther Festspiele GmbH/Enrico Nawrath/2008)



On est bien obligé, lorsqu’on entend Siegfried, puis Le Crépuscule des dieux, de poser la question du chant wagnérien aujourd’hui. Surtout à propos de la Tétralogie bayreuthienne de cette année. N’y a-t-il plus de voix wagnériennes ou le Festival ne sait-il pas les trouver – ou les attirer ? Excellent Tannhäuser, Stephen Gould se fourvoie en Wälsung. Un Windgassen, qui fut pendant quinze ans le Siegfried de la Colline, n’avait pourtant pas une voix de Heldentenor – sans parler des Jerusalem et autres Kollo qui lui succédèrent, voire d’un Jess Thomas, à peine plus proche du format exigé. Ce qui manque au ténor américain, c’est, comme l’on dit, la gestion des moyens. Au lieu de faire avec les siens, il les force, finit vite par aboyer ses aigus et arrive à la fin en fâcheux état. Mais, au-delà de ces coups de glotte, on se trouve surtout gêné par l’absence d’équilibre entre le chant et la déclamation, au profit d’une syllabisation outrée et au détriment du phrasé, qui fait totalement défaut dès la première scène. Linda Watson, elle, ne surprend pas : on se doutait bien, après sa Walkyrie, que le vibrato ne se réduirait pas et que l’on aurait aussi bien des moments d’émotion que des passages où les notes se déroberaient, comme dans « Ewig war ich », où la chanteuse, franchi le cap de l’aigu, entre en coquetterie avec la justesse. Cela sent plus la province que la grande classe.


La classe, elle est chez les autres, mis à part une Christa Mayer, si prometteuse dans L’Or du Rhin, assez pâle dans une Erda sans aura, faute sans doute, d’un grave suffisant. Gerhard Siegel, lui, tient les promesses du Prologue en Mime haineux à force d’impuissance, pas davantage bouffe, qui, à l’inverse de Siegfried, concilie la déclamation syllabique et le chant, sans pour autant avoir le génie de la caractérisation d’un Zednik ou d’un Clark. Andrew Shore rendosse les habits de son Alberich vipérin, toujours plus noir par le chant que par la voix. Curieusement, Albert Dohmen évolue exactement comme dans La Walkyrie : il progresse au fil de la représentation, de plus en plus porté par son personnage, d’abord chanteur solide, parfaitement maître de la tessiture tendue du rôle, puis interprète investi qui, au troisième acte, s’identifie à la grandeur du dieu déchu sans donner signe de fatigue. Le Fafner de Hans-Peter König laisse bien augurer de son Hagen et l’Oiseau de Robin Johannsen chante juste – ce n’est pas évident – d’une voix légère mais timbrée.


Christian Thielemann ne pouvait qu’être à l’aise dans Siegfried, où l’évocation de la nature tient une si grande place, appelant une grande science des timbres. L’orchestre déploie un éventail de couleurs superbe, tous les pupitres trouvant dans cette deuxième journée matière à montrer leur excellence – pas seulement, au deuxième acte, le cor magnifique de Bernhard Krug, venu du Gewandhaus de Leipzig. Les introductions des premier et troisième actes font presque penser à ce qu’en faisait, à Salzbourg, Karajan avec ses Berlinois en matière de sonorité. Cet orchestre de saison – où joue le violoniste français Jean-Louis Ollu, de l’Orchestre de Paris - est l’un des meilleurs du monde. Le chef allemand, nouvelle idole de Bayreuth, sait vraiment exploiter toutes les possibilités de ses musiciens, désormais bien installé dans le drame – malgré une introduction du troisième acte trop placide -, prouvant bien que la lenteur n’est pas un tabou, bien en phase surtout avec la légèreté souvent oubliée de cette deuxième journée, la seule de la Tétralogie dont les trois actes s’achèvent dans la jubilation.


C’est là, aussi, qu’il y a le plus d’action. La production, du coup, semble plus animée, en particulier grâce à Siegfried et Mime, sans cesse en mouvement ; même dans le tableau final, le héros, souvent pétrifié par ce qui lui arrive, bouge beaucoup, tel un sauvageon, face à cette Walkyrie qu’il désire et dont il a peur. Bref, Tankred Dorst, peut-être plus inspiré par la musique, dirige davantage ses chanteurs, même s’il reste dans la convention pour mettre en scène l’initiation du jeune Siegfried : tout reste un peu au premier degré, mais tout sonne juste. Au premier acte, l’adolescent n’est guère sorti de l’enfance : la salle de classe est aussi chambre d’enfant, où le mauvais élève raille son professeur, se moque du savoir et joue avec un bâton tandis que se forge l’épée, avant de briser non pas l’enclume, mais tous les objets qu’il peut trouver. La deuxième acte fait de nouveau coexister deux mondes parallèles : au dessus des troncs d’arbre de la forêt mystérieuse repose un tronçon d’autoroute en construction, avec la tente des travailleurs ; lorsque la terre s’entrouvre, la caverne de Fafner, que l’on retrouve tel que dans le Prologue, surgit d’un univers fabuleux, inondé de fumée et de lumière rouge ; les enfants de L’Or du Rhin et de La Walkyrie passeront bientôt entre les arbres, indifférents à cette forêt que leurs pères ont peuplé de personnages auxquels eux ne croient plus. Belle image, d’ailleurs, que cette caverne, comme le halo de lumière bleue dans lequel, en l’absence de tout décor, Wotan dialogue avec Erda, comme aussi le ciel étoilé des promesses de l’amour sur lequel s’ouvre à la fin la carrière désaffectée. S’il en faut plus, encore un coup, pour passer à la postérité, on regarde avec un certain plaisir.



Didier van Moere

 

 

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