Back
L’invasion des Asturies par les Siciliens Gijon Universidad Laboral 08/22/2008 - Pietro Mascagni: Cavalleria Rusticana
Chiara Angella (Santuzza), Francesco Anile (Turiddu), Silvio Zanon (Alfio), Laura Brioli (Lola), Nadine Denize (Mamma Lucia)
Coro de la Orquesta Sinfónica Ciudad de Gijón, Infantil de la Coral Polifónica, Beatriz Suárez (chef des chœurs), Orquesta Sinfónica del Principado de Asturias, Mariano Rivas (direction)
Aldo Tarabella (mise en scène), Rafa Mojas (lumières), Compañía de Ballet de Estrella García
L’Universidad Laboral, gigantesque complexe (44 000 mètres carrés) construit par Luis Moya Blanco à l’écart de la ville de Gijon dans les années cinquante, destinée à devenir une cité dédiée à l’apprentissage des métiers, ouverte aux moins favorisés et vivant de manière autarcique, dans une vision totalitaire au service du régime franquiste, et qui ne fut jamais achevée, est en voie d’être réhabilitée progressivement, une Cité de la culture prenant le relais de ceux qui détestaient par dessus tout la culture et les artistes. Le monument, il est vrai, en vaut la peine. D’inspiration à la fois herrerienne et italienne, il écrase son environnement par sa taille impressionnante, son clocher borrominien et ses fantastiques proportions obtenues grâce aux technologies « modernes » et notamment l’utilisation du béton armé. Sa conception architecturale est le fruit d’une pensée indubitablement cohérente et non dénuée finalement d’originalité, même si elle s’appuie sur les exemples des grands anciens, lesquels sont réinterprétés, alors que la production architecturale franquiste, de 1939 à 1975, ce qui n’est pas peu, reste tout de même largement marquée par la médiocrité et le mauvais goût.
C’est dans la cour centrale du complexe, légèrement plus petite que celle des Invalides, devant la chapelle ovale située en son axe, que fut présenté Cavalleria Rusticana (1890) de Pietro Mascagni. La Sicile, jadis occupée par les Aragonais (et les ours) venait montrer sa face la plus sombre et la plus primaire au cœur de la Cité de la culture au travers d’un spectacle donné par une importante équipe italo-espagnole de deux cent cinquante artistes et techniciens pour quelque deux mille quatre cents spectateurs. Le tout-Gijon, voire le tout-Asturies, était évidemment là, une large et efficace publicité ayant été donnée à l’événement et les prix des billets ayant été calculés au plus juste. En sus de l’opéra, des attractions de Comedia dell’Arte, danses au son des tambourins et jongleries diverses, étaient présentées en itagnol ou en espalien, on ne saurait dire, en différents endroits et en guise d’apéritif, l’opéra étant assez bref comme l’on sait, des buffets étant même mis en place ici ou là pour faire patienter.
Evidemment, comme pour tout spectacle de ce genre sonorisé en raison des lieux, en plein air, il est difficile de porter un jugement sur la qualité des prestations strictement musicales. Mais il convient de bien équilibrer les prises de son. Et il faut admettre que le pari a été assez bien tenu. Tous les instrumentistes de l’orchestre de la Principauté des Asturies, composé d’artistes de dix-neuf nationalités, purent parfaitement être entendus, même si parfois excessivement comme l’excellente harpe. Le tout fut en tout cas fort bien dirigé par Mariano Rivas, natif de Gijon, un brin de nervosité supplémentaire dans la présentation de ce drame de la jalousie composé par Mascagni sur un livret d’une bêtise défiant toute concurrence, n’ayant toutefois pas été de trop. Les grosses ficelles de la partition étaient bien là. Les quelque quarante membres de la chorale de l’Orchestre symphonique de Gijon, créée en 2006, incarnant le peuple, furent pour leur part globalement bien homogènes. Mais l’ensemble fut clairement dominé par Chiara Angella dans le rôle de Santuzza. Dotée d’une voix vériste puissante dans tous les registres, idéalement dramatique, elle éclipsa ses partenaires, même l’exemplaire Nadine Denize ou Francesco Anile, Silvio Zanon, dans le rôle d’Alfio, étant peut-être le moins convaincant avec Laura Brioli, parfois incertaine, dans le rôle de Lola.
La déception provint non pas des décors réduits à une simple charrette (non décorée de scènes de batailles sanguinolentes comme on en voit en Sicile) et de morceaux de draps blancs pendus à quelques garde-corps des fenêtres situées de part et d’autre de la chapelle – la cour de Moya se suffisant à l’évidence à elle-même – mais de la conception scénique globale d’Aldo Tarabella marquée par une absence totale d’originalité: costumes paysans d’un gris sinistre à l’exception de celui de Lola, symétrie de tous les tableaux, statisme des chanteurs solistes, danses populaires traditionnelles superfétatoires du ballet d’Estrella Garcia et pauvres éclairages de Rafa Mojas, alternant à chaque scène, tantôt jaunes, tantôt rouges, tantôt blancs, plaqués, comme les traductions du livret, sur la façade courbe de la chapelle creusée de niches et bardées de colonnes et de sculptures. Restaient les grands moments: les processions sortant de la chapelle, aussi impressionnantes que ridicules (faisant penser au défilé de mode ecclésiastique de Roma vue par Fellini), dans le contexte du drame passionnel, et la fuite finale sur un cheval blanc au galop de l’assassin de Turiddu, ses fers résonnant sous les arcades de la cour dans le fracas orchestral final typiquement vériste mais si inférieur à ce que produira Puccini.
L’expérience a paru cependant suffisamment positive pour espérer qu’une réédition soit envisagée l’an prochain. Peut-être pourrait-on cependant utilement prévoir plusieurs soirées, permettant ainsi d’amortir l’investissement et au spectacle comme au public de se rabattre sur le somptueux théâtre de l’Universidad Laboral, entièrement rénové, en cas d’intempéries.
Stéphane Guy
|