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Dialogue du vent et de la mer Paris Hôtel de Soubise 07/18/2008 - François Couperin : Les petits moulins à vent (extrait du 17e ordre de pièces pour clavecin) (#)
Frédéric Chopin : Barcarolle, opus 60 (*)
Maurice Ravel : Une barque sur l’océan (extrait de «Miroirs») – Jeux d’eau – Ondine (extrait de «Gaspard de la nuit»)(*)
Jacques Ibert : Le Vent dans les ruines (#)
Claude Debussy : Le Vent dans la plaine – «Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir» – Ce qu’a vu le vent d’ouest (extraits du Premier livre des Préludes) (#) – Pour invoquer Pan, dieu du vent d’été (extrait des «Six épigraphes antiques») – La Mer
Romain Hervé (#), Véra Tsybakov (*) (piano)
Romain Hervé Véra Tsybakov
Du vent, les concerts en plein air du Festival européen Jeunes talents n’en manquent généralement pas. La mer? Elle paraît loin, même si les nu-pieds du directeur artistique, Laurent Bureau, visent notamment, de son propre aveu, à confirmer que l’été est là – ce qu’en raison d’une météo médiocre, seul le calendrier vient pour le moment indiquer –, même si quelques mouettes viennent tourner au-dessus de la cour de Guise, même si l’architecte du péristyle de l’hôtel de Soubise se nomme... Pierre-Alexis Delamair (1675-1745). La perspective d’un «dialogue du vent et de la mer» entre deux pianistes, empruntant son titre à la dernière des trois esquisses symphoniques La Mer (1905) de Debussy et renonçant à ces programmes standardisés qui tournent d’un festival à l’autre, n’en était pas moins séduisante, attirant d’ailleurs un nombreux public, à la fois chaleureux et attentif.
D’un côté, le vent, Romain Hervé, trente ans: rien de plus normal pour un passionné de planche à voile, bien meilleur pianiste qu’orateur lorsqu’il prend la peine de présenter au public le déroulement (sans entracte) de la soirée. Une «patte» qui s’impose d’emblée dans «Les petits moulins à vent», extrait du Dix-septième ordre (1722) de Pièces pour clavecin de Couperin, offrant un excellent compromis de modernité, avec un usage raisonné de la pédale, et de respect du style par la fermeté du trait et le souci d’articulation.
De l’autre, la mer, Véra Tsybakov, vingt-cinq ans, sixième prix au Concours Long-Thibaud en 2004 (voir ici): la mer, ou plutôt l’eau, puisqu’elle commence par la Barcarolle (1846), qui fait partie de son récital Chopin récemment paru chez Intrada. Un ton plus réservé, un jeu moins au fond du clavier, plus «français» que celui de son camarade, mais nullement avare de couleurs pour autant, et, surtout, une finesse de toucher qui, dans «Une barque sur l’océan», troisième pièce des Miroirs (1905) de Ravel, entretient un flou «impressionniste» troublé par de puissantes lames de fond.
Romain Hervé possède également un disque Chopin à son actif chez Calliope, mais il choisit de poursuivre par une relative rareté, Le Vent dans les ruines (1915) d’Ibert, qui lui permet de faire valoir un très large éventail de nuances dynamiques. Comme sa partenaire joue Ravel à trois reprises, il lui fallait répliquer par trois pages de Debussy, toutes tirées du Premier livre (1910) des Préludes. D’abord «Le Vent dans la plaine», judicieusement enchaîné à l’œuvre d’Ibert, puis «Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir», qu’on rêve toujours plus mystérieux, plus capiteux, plus envoûtant – mais la tâche n’est guère aisée, car les avions, dans le ciel de la capitale, tournent aussi dans l’air du soir.
Retour à Ravel, avec Véra Tsybakov, pour «Ondine», première volet du triptyque Gaspard de la nuit (1908), puis Jeux d’eau (1901), superbement construits, puis retour à Debussy, avec Romain Hervé, dans «Ce qu’a vu le vent d’ouest», d’une formidable puissance digitale.
Les deux pianistes concluent en se rejoignant dans Debussy: «Pour invoquer Pan, dieu du vent d’été», troisième des Six épigraphes antiques (1914), qui sera bissé, et, surtout, La Mer. André Caplet en effectua une réduction pour deux pianos, mais c’est ici à la version pour piano à quatre mains, réalisée par le compositeur lui-même, que s’attaquent les deux Français. Comme souvent, ce type d’exercice tient à la fois du défi en termes de technique et de mise en place, de la curiosité, faisant ressortir des aspects nouveaux de la partition ainsi que le caractère révolutionnaire du propos («Jeux de vagues»), mais aussi de la frustration: les contraintes inhérentes à l’instrument obligent à accélérer le tempo – ainsi, la matinée de «De l’aube à midi sur la mer» passe bien rapidement – et les timbres de l’orchestre se font inévitablement désirer. Et le «dialogue du vent et de la mer» dans tout ça? Comme on pouvait s’y attendre, la force du vent – Romain Hervé en secondo – tend à l’emporter sur celle de la mer – Véra Tsybakov en primo – mais leur interprétation, mue par une prodigieuse énergie, réserve des moments de toute beauté, tandis que le piano, bien fatigué, finit par crier pitié dans les aigus.
Le site de Romain Hervé
Le site de Véra Tsybakov
Simon Corley
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