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Hommage à Charles Munch

Strasbourg
Palais de la Musique
06/28/2008 -  
Ludwig van Beethoven : Coriolan, Ouverture
Maurice Ravel : Concerto en sol
Claude Debussy : Iberia
Albert Roussel : Bacchus et Ariane, 2e Suite

Lise de la Salle (piano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Claus Peter Flor (direction)


Claus Peter Flor (© Shawn Northcutt)/Lise de la Salle (© Stéphane Gallois)


Décédé brutalement au cours d’une tournée américaine à la tête de l’Orchestre de Paris, le 6 novembre 1968, Charles Munch s’était inévitablement coupé de ses racines alsaciennes au cours de sa carrière américaine puis parisienne, tout en gardant avec sa ville natale des relations épisodiques, à l’occasion de quelques concerts strasbourgeois qui ont laissé des traces indélébiles dans les mémoires. D’où l’idée de ce portrait symphonique de la personnalité d’un chef d’exception, disparu il y a maintenant quarante ans.


Heureuse idée que de commencer le concert non pas par une oeuvre française (une Ouverture de Berlioz aurait trouvé ici une place logique) mais par l’Ouverture de Coriolan, œuvre énergique et dense dans laquelle Charles Munch brillait avec une fougue toute particulière. A la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg apparemment motivé mais dont les cordes peinent à sortir de leurs gonds, Claus Peter Flor tente de retrouver un peu de cette énergie explosive et de cette agogique fébrile : conception rageuse, scandée par une battue impérieuse, que l’orchestre transforme finalement en belle ouverture de début de concert honnêtement défendue, ce qui est déjà en soi un beau résultat.


De l’énergie à revendre : c’est aussi le cas de la jeune pianiste Lise de la Salle, tout juste vingt ans cette année, qui domine le Concerto en sol de Ravel avec une belle projection sonore et une fermeté rythmique à toute épreuve. On apprécie la solidité de mise en place du premier mouvement, favorisée par la battue claire et pas trop hâtive de Claus Peter Flor. La très longue phrase du II convainc aussi par son élégance et sa remarquable pudeur. Le curieux phrasé des trilles dans la cadence du I suscite quelques interrogations, et il manque peut-être à cette très belle performance un rien de liberté et d’inventivité supplémentaires, mais en l’état on découvre une interprète promise à un bel avenir. Belle tenue de l’orchestre (en particulier clarinette et hautbois : Sébastien Koebel et Sébastien Giot), à l’exception d’un trompettiste qui non seulement rate péniblement sa première intervention (un aléa fréquent, y compris dans les meilleures formations) mais enlaidit et distord aussi de nombreuses phrases ensuite.


En seconde partie, Claus Peter Flor tente d’imposer une conception différente des trois pièces d’Iberia de Debussy que celle que l’orchestre maîtrise en routine (et reproduit d’ailleurs quasiment à l’identique quelque soit le chef qui dirige). Cette fois le mot d’ordre semble être une liberté rythmique élargie, où chaque pupitre tend à se ménager un certain espace d’indépendance. Le surcroît de sensualité attendu n’est malheureusement pas toujours au rendez-vous, avec plutôt l’impression d’un flottement précautionneux qui altère la densité des effets de masse. C’est sans doute le second volet (Les parfums de la nuit) qui s’accommode le mieux de cette conception opulente et un peu hors style, avec à la clé une attention du public plus soutenue que d’habitude dans cette pièce toujours difficile d’accès.


C’est dans la dernière phase du concert, la Seconde Suite de Bacchus et Ariane de Roussel, que la présence de Charles Munch, matérialisée jusqu’ici surtout par la belle photographie noir et blanc grand format tendue derrière l’orchestre, semble la plus palpable : vision large et chaleureuse, conduite par Claus Peter Flor sans chute de tension, couronnée par une Bacchanale d’un bel impact. On n’atteint pas tout à fait ici la folie furieuse de certaines interprétations de ce passage par Charles Munch, mais on s’en approche dignement. A propos de l’historique de cette œuvre, rappelons simplement que, contrairement à ce qu’affirme la plaquette du Festival de Strasbourg, Charles Munch n’a créé en concert que la Première Suite de Bacchus et Ariane en 1933 (la seconde l’a été un an plus tard, par Pierre Monteux).


L’indispensable présence berliozienne ne se concrétise qu’en bis, avec Un bal de la Symphonie fantastique. A signaler l’adoption d’une version alternative dont l’orchestre était jusqu’ici peu familier, comportant l’adjonction d’une conséquente partie de cornet à pistons. Enregistrée au disque par certains chefs seulement (dont Colin Davis et John Eliot Gardiner) il s’agit d’une version postérieure à la création, cette partie de cornet surnuméraire étant vraisemblablement destinée par Berlioz à Jean-Baptiste Arban, célèbre cornettiste français. Défendue avec élégance par Daniel Stoll, cette partie surajoutée ne parvient toutefois pas à convaincre vraiment de son utilité, voire monopolise un peu trop l’attention.


Saluons enfin le charisme de Claus Peter Flor, avec lequel l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg apprécie manifestement beaucoup de travailler. Une telle personnalité se révèle idéale pour une soirée d’hommage à Charles Munch, chef d’une indiscutable importance historique mais surtout meneur d’hommes hors normes que tous les musiciens qu’il a dirigés ont toujours adoré. De quoi donner davantage de pertinence à une soirée d’hommage dont on peut toujours discuter le principe, la véritable personnalité de Munch restant bien davantage à trouver dans son héritage discographique que dans ce genre de commémoration, aussi chaleureuse soit-elle. En tout cas le thème de la soirée aura paru porteur, permettant au Festival de Strasbourg de conclure sa programmation avec une salle pas trop mal remplie.



Laurent Barthel

 

 

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