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A la croisée des destins

London
Covent Garden
06/06/2008 -  et les 11, 14*, 17, 20, 26, 29 juin et 3 juillet 2008
Giuseppe Verdi: Don Carlo

Rolando Villazón (Don Carlo), Marina Poplavskaya (Elisabetta di Valois), Simon Keenlyside (Rodrigo), Ferruccio Furlanetto (Filippo II), Sonia Ganassi (Eboli), Pumeza Matshikiza (Tebaldo), Nikola Matišic (Conte di Lerma), Eric Halfvarson (Il Grande Inquisitore), Robert Lloyd (Un frate), Anita Watson (Voce del cielo)
Chœur et Orchestre du Royal Opera House, Antonio Pappano (direction musicale)
Nicholas Hytner (mise en scène), Bob Crowley (décors), Mark Henderson (lumières)


(S. Ganassi, S. Keenlyside & R. Villazon / © Catherine Ashmore)


Covent Garden nous offre l’occasion – rare – d’entendre la version italienne en 5 actes de Don Carlo, et rien que pour cela il faut remercier la première scène lyrique anglaise. L’épisode de Fontainebleau éclaire en effet d’un jour sensiblement différent certains aspects de l’œuvre. Mais les mérites de cette nouvelle production ne s’arrêtent pas là, tant elle permet aussi aux amateurs de beau chant de vivre des émotions intenses dans les confrontations entre les trois protagonistes aux registres les plus graves, avec une mention toute particulière pour Ferruccio Furlanetto, qui campe un Philippe II d’anthologie, éblouissant dans son grand monologue, qui commence mezza voce, le roi posant une main sur son front, assis légèrement voûté à son bureau, pour se terminer en désespoir poignant, à peine contenu. Le chanteur semble remplir à lui tout seul un plateau presque vide, sa perception de la complexité du rôle lui faisant atteindre des sommets d’intensité. La scène qui suit, avec un Grand Inquisiteur aveugle, pouvant à peine se déplacer, incarné par un Eric Halfvarson sinistre et inflexible, en tenue papale rouge, à la voix terriblement puissante, comme venant d’outre-tombe, donne froid dans le dos. Quant à Simon Keenlyside, s’il n’est pas, par nature, un baryton verdien, l’intelligence de son chant et sa superbe technique lui confèrent suffisamment d’aisance pour interpréter un Posa racé, au legato impeccable, confondant de profondeur et de conviction dans plaidoirie face au roi. Parmi les voix féminines, Sonia Ganassi tire clairement son épingle du jeu, avec une voix bien timbrée et une maîtrise raffinée de la ligne de chant, quand bien même on aurait souhaité davantage de tempérament dans l’incarnation de la venimeuse Eboli.


Malheureusement, la liste des mérites vocaux s’arrête là, car les autres interprètes principaux ne sont clairement pas à la hauteur. La situation est préoccupante pour Rolando Villazon, qui devrait retirer l’Infant, beaucoup trop lourd pour lui, de son répertoire s’il entend poursuivre sa carrière. Le chanteur est constamment sur le fil du rasoir, la voix sous pression et les aigus tirés. Annoncé souffrant de problèmes allergiques à la fin du 1er entracte, il peine à se faire entendre dans la deuxième partie du spectacle, avant de se ressaisir pour la fin. Scéniquement, il semble aussi moins engagé que d’habitude. Le ténor était-il en méforme ce soir-là? La première ne s’est en tout cas pas mieux passée puisqu’il a été sifflé. Marina Poplavskaya est une autre source d’inquiétude: cette jeune artiste mise en valeur par le Royal Opera House n’a manifestement pas encore la carrure ni la maturité pour aborder un rôle aussi écrasant que celui d’Elisabeth – sans parler de ses problèmes évidents d’intonation -, et d’ailleurs on peine à comprendre comment la direction de Covent Garden ne s’en est pas rendu compte.


Homme de théâtre réputé, Nicholas Hytner signe un spectacle des plus classiques, en coproduction avec le Met et l’Opéra national de Norvège. L’intrigue se noue dans des décors stylisés de Bob Crowley, avec pour fil conducteur de grandes parois noires munies de petites fenêtres, symbolisant la prison qu’est l’Espagne de l’Inquisition, et qui apparaissent pour la première fois à la fin du premier acte pour séparer Elisabeth de Carlo. Le metteur en scène privilégie les destins individuels, avec par exemple une rencontre amoureuse naïvement suggestive entre les deux adolescents que sont encore Carlo et Elisabeth, ou une scène superbe éclairant le désarroi de la reine, qui doit contenir sa fébrilité en mouillant son visage lorsqu’elle reçoit de Posa une lettre de l’Infant, ou encore le trouble du roi lorsque la reine s'évanouit à ses pieds. La trame historique et politique n’est par contre pas aussi bien traitée, avec notamment une scène de l’autodafé qui prête à sourire, devant une cathédrale jaune kitsch et les vociférations excessives de la foule. Une mention spéciale est à décerner aux magnifiques éclairages en clair-obscur de Mark Henderson. Dans la fosse, Antonio Pappano réussit à faire vibrer le drame avec passion et raffinement, le chef se révélant le principal artisan du succès de la soirée, succès sanctionné par les applaudissements chaleureux du public.



Claudio Poloni

 

 

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