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Les gros sabots de Carmen Lausanne Théâtre de Beaulieu 05/23/2008 - et les 25* et 28 mai 2008
Georges Bizet: Carmen
Nora Sourouzian (Carmen), Carlo Ventre (Don José), Jean-François Lapointe (Escamillo), Brigitte Hool (Micaëla), Sophie Graf (Frasquita), Carine Séchaye (Mercédès), Benoît Capt (Zuniga), Sacha Michon (Moralès), Marc Mazuir (Le Dancaïre), Humberto Ayerbe-Pino (Le Remendado)
Chœur de l’Opéra de Lausanne (préparation: Véronique Carrot), Maîtrise du Conservatoire de Lausanne (préparation: Yves Bugnon), Orchestre de Chambre de Lausanne, Cyril Diederich (direction musicale).
Arnaud Bernard (mise en scène), Gianni Santucci (assistant et chorégraphe), Alessandro Camera (décors), Carla Ricotti (costumes), Patrick Méeüs (lumières). Danseurs de l'École-Atelier Rudra-Béjart
Carmen est très certainement l’un des opéras les plus représentés, si ce n’est le no 1 au hit parade des ouvrages lyriques à l’affiche. Si les théâtres qui programment le chef-d’œuvre de Bizet sont sûrs de remplir leur salle jusqu’au dernier gradin, il leur est difficile, par contre, de proposer une version qui sorte des sentiers battus, qui ne rabâche pas des poncifs mille fois vus et entendus, tant la célèbre bohémienne a connu d’avatars. Que peut-on encore dire de neuf aujourd’hui? Comment représenter la femme libre et insoumise imaginée par Mérimée?
A l’Opéra de Lausanne, Arnaud Bernard n’a pas fait dans la dentelle. Pour lui, l’équation est simple: femme libérée = jambes écartées et dénudées! Pas très subtil, à l’image du spectacle qu’il a réglé, où tout semble conventionnel, quand ce n’est pas franchement faux voire ridicule, comme l’altercation entre les soldats et les cigarières au premier acte, qui ressemble à une partie de catch, déclenchant les rires du public. Pour employer une métaphore, le metteur en scène a chaussé Carmen de gros sabots, il a usé et abusé des grosses ficelles du ressort dramatique, sans beaucoup se soucier de la direction d’acteurs, tant les solistes semblent la plupart du temps perdus sur le devant de la scène, bras levés. Seul le 4e acte apporte un éclairage original, en s’ouvrant sur la chambre d’Escamillo, avec Carmen au pied du lit défait, écoutant les clameurs de la foule, avant que son nouvel amant ne la rejoigne pour des ébats passionnés. Si le spectacle d’Arnaud Robert reste, dans l’ensemble, plutôt conventionnel, il faut néanmoins reconnaître au metteur en scène un vrai talent esthétique, pour avoir situé le drame dans de superbes tableaux d’une Espagne torride et passionnée, écrasée de chaleur et plongée dans le fascisme, avec de magnifiques costumes. Une Carmen très visuelle donc, à défaut d’être scéniquement convaincante.
Il faut dire aussi que la distribution réunie à Lausanne n’est pas des plus électrisantes. Nora Sourouzian dans le rôle-titre fait preuve d’une présence scénique indéniable et sa voix recèle de beaux accents; elle possède certes toutes les notes du rôle, mais son chant demeure très sage, manquant singulièrement de tempérament et de maturité. Carlo Ventre dispose lui aussi d’un matériau appréciable, mais il ne sait chanter qu’en forçant la voix, au mépris de toute nuance, un défaut qu’il partage d’ailleurs avec l’Escamillo de Jean-François Lapointe. Brigitte Hool en Micaëla convainc davantage, même si les notes les plus aiguës posent d’évidents problèmes à la chanteuse. L’équipe des seconds rôles est elle presque parfaite, avec notamment une très belle prestation du duo formé par Sophie Graf (Frasquita) et Carine Séchaye (Mercédès). On retiendra aussi l’excellente performance du Chœur de l’Opéra.
La véritable source de satisfaction de la soirée est venue de la fosse, avec un Orchestre de Chambre de Lausanne en forme superlative, aux cordes soyeuses, placé sous la baguette inspirée de Cyril Diederich. Le chef fait entendre chaque note d’une partition qu’on croyait pourtant connaître par cœur, dirigeant avec une légèreté qui sied à la bohémienne, sans jamais tomber dans la lourdeur, même dans l’ouverture ou le prélude du 4e acte, qu’on n’avait jamais écoutés si aériens. Comme quoi, Carmen peut encore surprendre, heureusement…
Claudio Poloni
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