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Sous le signe de l’oppression

Paris
Salle Pleyel
05/28/2008 -  
Ludwig van Beethoven : Ouverture d’Egmont, opus 84
Władysław Szpilman : Concertino pour piano et orchestre
Leonard Bernstein : Symphonie n°3 « Kaddish »

Ewa Kupiec (piano), Samuel Pisar (récitant), Ana Maria Martinez (soprano)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Maîtrise de Paris, Orchestre de Paris, John Axelrod (direction)

Musicalement, le programme semble éclaté. Il est pourtant cohérent : les trois œuvres proposées sont placées sous le signe de l’oppression. L’Ouverture d’Egmont, au début, va donc de soi. Malheureusement, elle pâtit d’une interprétation médiocrement routinière, qui n’a visiblement pas fait l’objet d’un travail approfondi, avec un manque cruel de pulsation et des sonorités fort ternes – à part celles des bois –, où John Axelrod bat la mesure plus qu’il ne dirige.


Le Concertino de Władysław Szpilman constitue une curiosité sans intérêt musical : du Gershwin - est-ce un hasard si l’œuvre est en fa comme son Concerto ? - à la sauce Rachmaninov. Mais il montre à quel point la musique américaine avait conquis l’Europe – Szymanowski lui-même se plaignait que les montagnards des Tatras délaissaient parfois leurs danses pour le fox-trot. Ce Concertino émeut néanmoins en raison des circonstances de sa composition : Szpilman, le héros du Pianiste de Roman Polanski, réalisé d’après ses Mémoires, l’a achevé dans le ghetto de Varsovie en 1940 – il l’a ensuite reconstitué et enregistré après la guerre. Il avait d’ailleurs, dès 1936, fait l’objet des attaques antisémites d’une partie de la presse nationaliste, lorsqu’il avait été engagé à la Radio de Varsovie, que l’on accusait de renvoyer des musiciens de talent pour les remplacer par des musiciens juifs. L’orchestre, cette fois, se montre beaucoup mieux préparé – il est vrai qu’il ne risquait pas de connaître l’œuvre - et accompagne avec panache l’excellente Ewa Kupiec, qui fait très bien tout ce que l’on peut faire ici, mais que l’on aimerait entendre dans une œuvre plus consistante – elle ne donne même pas de bis.


A la Symphonie Kaddish, une des œuvres les plus fortes et les plus modernes de Bernstein, le chef et l’orchestre ont réservé tout leur soin. On l’entend ici avec un « Dialogue avec Dieu » de Samuel Pisar, miraculé de la Shoah, cri de souffrance, de colère et d’espoir, témoignage d’autant plus prenant de celui qui passa à Auschwitz quatre ans d’une enfance martyre qu’il le récite lui-même avec une grande sobriété. Bernstein lui avait suggéré d’imaginer un texte pour sa Symphonie, pensant qu’elle aurait plus de force si le texte émanait de quelqu’un ayant vécu l’insoutenable tragédie. A la vérité, on peut en douter : le Dialogue n’a pas la richesse du texte de Bernstein, qui exposait sa conception de l’existence et du monde à la fois en tant qu’homme et en tant qu’artiste créateur - dimension irremplaçable qui trouve son correspondant dans la musique. Bref, c’est moins le nouveau texte lui-même qui pose un problème que son lien avec la partition : la soudure ne se fait pas parfaitement. John Axelrod, de son côté, propose une lecture scrupuleuse de la Symphonie, plus que la vision que l’on attend, avec la complicité d’un chœur assez moyen et d’une excellente Ana Maria Martinez, récemment Luisa Miller à l’Opéra Bastille, très belle dans la berceuse de la deuxième partie. Il manque cependant à la direction la puissance d’émotion qui fait l’inestimable prix des versions d’un compositeur réussissant ici à unifier les différentes sources d’inspiration de cet « éclectisme » qu’on a tant brocardé. Or le chef, élève de Bernstein, que l’on avait aimé dans Candide au Châtelet, semble parfois un peu décousu, là où il faut prendre la partition à bras-le-corps pour en restituer, comme aurait dit Baudelaire, la « ténébreuse et profonde unité ». Il est pourtant familier de l’œuvre, dont la présente version a été enregistrée sur le vif à Lucerne en 2006, avec le même Samuel Pisar et l’Orchestre symphonique de la ville, dont il est le directeur musical.



Didier van Moere

 

 

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