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Quatuor au galop et dans le vent London Wigmore Hall 05/17/2008 - Joseph Haydn : Quatuor n° 74, opus 74 n° 3 «Reiterquartett»
Anton Webern : Six Bagatelles, opus 9 – Langsamer Satz, M. 78
Franz Schubert : Quatuor n° 14 «Der Tod und das Mädchen», D. 810
Quatuor Ebène: Pierre Colombet, Gabriel Le Magadure (violon), Mathieu Herzog (alto), Raphaël Merlin (violoncelle)
Une évidente complicité lie les membres de l’énergique et virtuose Quatuor Ebène, qui franchit haut la main l’obstacle de son récital au Wigmore Hall de Londres. Dans une salle correctement remplie et particulièrement chaleureuse à l’égard des jeunes musiciens français, les quatre compères mettent fièrement le pied à l’étrier du Soixante-quatorzième quatuor «Le Cavalier» (1794) de Haydn, qu’ils conduisent brillamment aux écuries de la fraîcheur et du rythme. Reposant sur une grande concentration, un usage modéré du vibrato et un contrôle absolu des nuances, cette interprétation réjouit par sa fougue et sa véhémence juvénile, qui explose dans un Allegro con brio conclusif bondissant et racé, où des archets au galop fouettent littéralement les cordes comme on cinglerait un cheval avec une cravache en crins colophanés...
Les deux œuvres de Webern sont précédées par une présentation sympathique de Raphaël Merlin qui, dans un anglais à la «Antoine de Caunes» – parfois hésitant mais toujours piquant – gagne l’attention et la sympathie d’un public hilare… en complet décalage avec les Bagatelles de l’Opus 9 (1913), aussi inquiétantes que tendues… qui contrastent elles-mêmes avec une merveille de Langsamer Satz (Mouvement lent) (1905) au lyrisme assumé, porté par des musiciens convaincus qui livrent avec ferveur et même foi cette page déchirante, brûlante, ravageuse.
Impeccablement rendu, le Quatorzième quatuor «La Jeune fille et la mort» (1824) de Schubert semble moins convenir aux musiciens français que la rythmique de Haydn et le venin de Webern. L’approche radicale du Quatuor Ebène dans ce monument de la musique de chambre aboutit à un résultat qu’on peut juger trop rugueux, à l’image d’un Allegro oppressant, qu’on aimerait parfois entendre respirer plus naturellement. Egalement sous tension, le mouvement lent impressionne par un beau travail de construction rythmique et de recherche dans les nuances, travail dont la perfection manque peut-être de simplicité et finalement d’émotion. «Electrifié» de la sorte, le morceau est amené au bord de la crise cardiaque : en manque-t-il le cœur émotionnel ? Et peut-on faire à ces jeunes interprètes le reproche d’une vision trop fougueuse et pas assez mûrie de l’œuvre… alors même que cette dernière est le fruit d’un compositeur d’à peine vingt-sept ans ? Retenons plutôt que l’interprétation du Quatuor Ebène fait constamment ressortir l’énergie et la violence d’une partition très fréquentée et que sa vertu principale transparaît dans deux derniers mouvements parfaitement en place et globalement très vifs – endiablés même –, qui savent paradoxalement se faire plus émouvants que l’Andante con moto auquel ils succèdent.
Comme ici, les quatre men in black du Quatuor Ebène font un tabac en livrant en bis leur adaptation mi-tango mi-tzigane de la musique du film de Quentin Tarantino Pulp fiction, qui achève de conquérir un public franchement enthousiaste à l’égard de ces musiciens décidemment très attachants.
Le site du Quatuor Ebène
Le site du Wigmore Hall
Gilles d’Heyres
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