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Vingt ans après

Paris
Opéra Comique
04/28/2008 -  et 29 avril, 2, 5 mai 2008
Pascal Dusapin : Roméo et Juliette

Jean-Sébastien Bou (Roméo 1), Marc Mauillon (Roméo 2), Karen Vourc’h (Juliette 1), Amaya Dominguez (Juliette 2), Laurent Poitrenaux (Bill), Caroline Chassany (soprano), Valérie Rio (mezzo), Jean-Paul Bonnevalle (contre-ténor), Paul-Alexandre Dubois (baryton), Philippe Berrod (clarinette)
accentus, Laurence Equilbey (direction), Orchestre de Paris, Alain Altinoglu (direction musicale)
Ludovic Lagarde (mise en scène, scénographie), Christian Lacroix (costumes), Sébastien Michaud (lumières), Antoine Vasseur (scénographie), Marion Stoufflet (dramaturgie), Gilles Grand (conception sonore), David Poissonnier (ingénieur du son), Ircam-Centre Pompidou (diffusion sonore)


La musique contemporaine reprend ses droits à l’Opéra Comique: en février 2009, ce sera ainsi Lady Sarashina de Peter Eötvös, un spectacle créé le mois dernier à Lyon. Et le directeur, Jérôme Deschamps, assisté de son adjoint, Olivier Mantei, a programmé dès sa première saison quatre représentations d’une nouvelle production de Roméo et Juliette (1988) de Pascal Dusapin. Entre le retour de Medea en mars à Gennevilliers (voir ici) et la création de Passion à Aix-en-Provence en juillet prochain, son œuvre lyrique se trouve donc tout particulièrement mise à l’honneur cette année.


Alors que bon nombre d’opéras résistent mal à l’épreuve du temps, Dusapin a assumé le risque de présenter sa première contribution à un genre alors jugé plus ou moins moribond sans toutefois avoir perdu ses attraits: vingt ans après, sans modification majeure, se réservant cependant le droit de le «[considérer] ponctuellement avec pragmatisme», si l’on en croit le texte de présentation du chef d’orchestre Alain Altinoglu reproduit dans le programme de salle. Et ce, bien que cette commande de l’Opéra de Montpellier, où elle fut créée en juillet 1989 dans le cadre du Festival de Radio France, se soit inscrite, en son temps, dans un contexte particulier, celui du bicentenaire de la Révolution française – célébré au même moment à Bastille par l’inauguration d’un opéra qualifié de «populaire».


C’est en effet de révolution qu’il s’agit ici, bien davantage que de l’histoire des amants de Vérone. Au demeurant, les révolutions, de juillet ou d’octobre, davantage que la Révolution – dans les costumes de Christian Lacroix, le rouge fait autant référence au bonnet phrygien qu’à la casquette militaire ou prolétarienne – le tout dans le cadre d’une unité de temps qui est aussi celle de la révolution terrestre. Et pas une histoire, mais toutes les histoires, l’Histoire, en somme. Quant aux amours contrariées, ce sont celles non pas de Roméo et Juliette – ou plutôt des Roméo et Juliette, le couple ayant son double – mais du texte et de la musique. Le vieux débat de Capriccio, en somme, mais qui, au lieu de se complaire dans les délicieuses incertitudes de l’alternative et de l’hésitation, se résout par la lutte et la fusion – de fait à l’avantage de la musique: le texte d’Olivier Cadiot se veut parfois inintelligible – effet qu’accentue l’absence de surtitrage, parti pris retenu par le compositeur et le librettiste ainsi qu’un panonceau prend la précaution de l’annoncer préalablement au public – et la pièce centrale («La révolution») de ces neuf numéros formant une arche est de nature purement orchestrale.


Prima la musica, par conséquent. On ne s’en plaindra pas, car dans un foisonnement baroque d’une richesse et d’une virtuosité fascinantes, Dusapin conçoit un ovni – objet vocal non identifié – juxtaposant ou superposant à peu près toutes les techniques et styles imaginables (opéra de chambre, théâtre musical, sonorisation, spatialisation, simples monodies, denses polyphonies, citations, a cappella, ensembles, ...), sans que ce kaléidoscope ne donne pour autant une impression trop brillante ou décousue. L’effectif est à l’avenant, associant aux solistes, au chœur (de chambre) et au grand orchestre traditionnels un quatuor vocal, un récitant et un clarinettiste – en l’espèce le formidable Philippe Berrod, issu des rangs de l’Orchestre de Paris présent dans la fosse – qui apporte sa contribution sur scène avec la quasi-totalité des instruments de la famille, depuis la petite clarinette jusqu’à la clarinette contrebasse.


E poi le parole, quand même: cette partition sui generis trouve son inspiration dans un livret sortant des sentiers battus, tout aussi bariolé dans sa façon de cultiver une grande variété de registres, du trivial au précieux, du grotesque aux énoncés mathématiques, de la poésie aux slogans politiques, certains mots se mouvant sur un écran transparent placé à l’avant-scène – la révolution est un combat, bien sûr, donc aussi une logomachie. On se doute néanmoins que l’hommage à la Révolution, qui menaçait derrière la commande officielle, est tout sauf compassé: quelques mois avant la chute du Mur, la distanciation et sans doute aussi la désillusion sont de mise face aux grandes utopies du siècle passé. Y a-t-il un «avant» et un «après» la révolution? L’impeccable symétrie de la construction tend à répondre par la négative, les personnages semblant eux-mêmes dubitatifs, y compris Bill, diminutif de (William) Shakespeare, observant et commentant le discours de ses deux couples véronais en costumes élisabéthains. Et la salle Favart rit souvent de bon cœur, comme dans cet «Après» en forme de happening parodique, où les membres du quatuor vocal, déguisés en bons sauvages, s’abandonnent à une musique pseudo primitive, comme si Villa-Lobos avait revisité Les Indes galantes: c’était donc ça, les lendemains qui chantent?


La direction d’acteurs de Ludovic Lagarde se met parfaitement au diapason de ce vibrionnant livret. Aidé d’Antoine Vasseur, il a opté pour une scénographie allégée – un immense saule pleureur et une allégorie de balcon au centre, devant lesquels deux rangs de travées en demi-cercle accueillent les choristes d’accentus – superbement mise en valeur par les lumières de Sébastien Michaud. Les jeunes chanteurs, même s’ils se montrent un peu moins à l’aise avec les nombreux passages en anglais, portent véritablement la représentation, se jouant de la rare versatilité de l’écriture aussi bien que des prouesses théâtrales qui leur sont demandées.



Simon Corley

 

 

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