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Borderline

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La Monnaie
04/12/2008 -  et le 15, 17, 20*, 23, 25, 27, 30 avril et 2 mai 2008
Luigi Cherubini : Médée
Nadja Michael (Médée), Kurt Streit (Jason), Ekaterina Gubanova (Néris), Philippe Rouillon (Créon), Virginie Pochon (Dircé), Violet Serena Noorduyn (Première servante), Rachel Frenkel (Seconde servante)
Chœur de la Monnaie, Piers Maxim (chef de chœur), Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Denis Gueguin (vidéo), Malgorzata Szczesniak (décors et costumes), Felice Ross (éclairages), Catherine Friedland (maquillages, perruques, coiffures)


Krzysztof Warlikowski ne fait pas que des heureux. Manifestement incapable de concevoir un spectacle sans arrière-plan sociopolitique, le très demandé metteur en scène, admiré par beaucoup mais contesté par une certaine critique et un public qui n’apprécient pas d’être malmenés, sort d’un Parsifal remarqué à l’Opéra National de Paris qui l’avait auparavant invité à l’occasion d’une nouvelle production d’ Iphigénie en Tauride, deux spectacles qui ont permis de forger sa réputation outre-Quiévrain.


Le traitement qu’allait réserver le Polonais (qui effectue ses débuts à la Monnaie) au mythe de Médée, mis en musique par Cherubini et immortalisé naguère par Maria Callas, suscitait a priori le plus vif intérêt. L’œuvre est dure et violente en sa conclusion – Médée, révoltée, trahie et exclue, assassine ses enfants, drame on ne peut plus actuel au regard de l’actualité –, aussi constitue-t-elle pour Warlikowski une pièce de choix pour révéler toute l’injustice, la bêtise et la laideur du monde. C’est précisément ce qu’il fait ici en transposant l’action de nos jours, avec acuité et pertinence, aidé en cela par sa fidèle collaboratrice Malgorzata Szczesniak qui signe un décor véritablement sordide, avec des néons de sinistres bordels, une estrade métallique placée face à la salle, des portions de mur maculés de graffitis, d’énormes panneaux tantôt transparents, tantôt réfléchissants et des palmiers au fond de la scène.


En Grèce ou ailleurs, dans une communauté recluse sur elle-même et plongée dans un quotidien sans saveur, Jason épouse par opportunisme la jeune Dircé, interprétée avec ravissement par Valérie Pochon, après avoir quitté Médée, toujours amoureuse de lui, mère de ses deux fils et avec qui elle se maria. Avec tout autant d’habilité que David Freeman dans le magnifique Wozzeck donné le mois passé, Krzysztof Warlikowski explore les mécanismes inexorables qui poussent cette femme au crime et décrit d’une façon poignante l’isolement de cette étrangère, perçue comme une menace, insultée par Créon, père de Dircé (excellent Philippe Rouillon), archétype du beauf parvenu et médiocre. Incarnant une formidable Médée alcoolique, et sans doute droguée également, bombe sexuelle empruntant le look d’Amy Winehouse (dont une photo illustre d’ailleurs le programme de salle), Nadja Michael, dont la voix de soprano atteint les raucités d’une mezzo, compose avec un remarquable Kurt Streit un couple d’une totale crédibilité.


Le spectateur chevronné aura certainement vu ailleurs quantité de spectacles plus riches d’idées intéressantes mais celui-ci n’en manque pas pour autant, jusque dans les vieilles vidéos amateurs de mariage et d’enfants projetées sur le rideau de scène avant le début des premier et troisième actes ainsi que dans la très étonnante conclusion que l’on laissera à de futurs spectateurs le soin de découvrir. Les dialogues du livret utilisé pour la version originale en français ont été réécrits pour les remettre au goût du jour. Le vocabulaire est certes rude et décomplexé (« Casse-toi », « merde »), mais ce qui dérange, outre que les échanges parlés tranchent nettement avec le livret chanté de François-Benoît Hoffman, est l’amplification de ces dialogues, grâce à des micros miniatures.


L’Orchestre Symphonique de la Monnaie cède régulièrement la fosse à d’autres formations, le plus souvent constituées d’instruments d’anciens. Il s’agit à ce titre d’une première pour les Talens lyriques dirigés par leur créateur Christophe Rousset, dont la performance, soutenant merveilleusement la tragédie, ne peut que susciter l’envie de les retrouver prochainement. Beauté des timbres, sonorité pleine, énergie, exaltation, cohésion, autant de qualités qui servent à merveille une partition d’une grande beauté et d’une saisissante efficacité dramatique. La rareté de Médée ne se justifie aucunement, aussi faut-il saluer l’initiative de la Monnaie d’en avoir proposé une production aboutie, tant musicalement que scéniquement, et chaleureusement accueillie, malgré quelques huées déplacées, sans doute à l’endroit du metteur en scène. Un scandale ? Voire, car, comme l’affirme volontiers Warlikowski, c’est la réalité qui est scandaleuse.



Sébastien Foucart

 

 

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