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Ici le Met, à vous Paris! Paris Gaumont Marignan 04/05/2008 - Giacomo Puccini : La Bohème
Angela Gheorghiu (Mimi), Ainhoa Arteta (Musetta), Ramon Vargas (Rodolfo), Ludovic Tézier (Marcello), Quinn Kalseyu (Schaunard), Oren Gradus (Colline), Paul Plishka (Benoît/Alcindoro), Robert Maher (Sergent), Meredith Derr (Parpignol), Raymond Aparentado (Prugne di Tours)
Metropolitan Opera chorus, Donald Palumbo (chef des chœurs), Metropolitan Opera orchestra, Nicola Luisotti (conductor)
Franco Zeffirelli (mise en scène et décors), Peter J. Hall (costumes), Gil Wechsler (lumlières)
Depuis son accession au poste de directeur général du Metropolitan Opera, en août 2006, Peter Gelb a lancé le défi de l’indispensable renouvellement du public. L’une des pièces maîtresses de sa dynamique et spectaculaire politique de communication s’intitule «Metropolitan Opera: Live in HD». Il s’agit, depuis décembre 2006, de diffuser en direct des représentations du Met dans des salles de cinéma (mais aussi sur Internet), une idée dont, pour des raisons de droits, il a d’abord fallu convaincre les artistes, en particulier l’orchestre et le chœur, mais qui, après les Etats-Unis (voir ici), n’a pas tardé à séduire quatorze autre pays (Amérique, Europe, Japon, ...). Quelques lustres après la vogue du «film-opéra», le lyrique revient ainsi sur grand écran.
Si, depuis une dizaine d’années, France Musique offre régulièrement les spectacles new-yorkais à ses auditeurs, les irréductibles Gaulois sont à la traîne en matière de vidéotransmission sur grand écran. Pour l’heure en effet, sur les huit productions sélectionnées par le Met au cours de sa saison 2007-2008, deux seulement sont annoncées, le samedi à 19 heures 30, correspondant à une matinée (13 heures 30) à New York. Avant La Fille du régiment de Donizetti avec Natalie Dessay et Juan Diego Florez (26 avril), La Bohème (1896) de Puccini avec Angela Gheorghiu et Ramon Vargas essuie les plâtres. En France, c’est la société CielEcran qui assure la technique: spécialisée dans la télédiffusion d’événements divers, elle ne se limite évidemment pas à l’opéra, incluant par exemple le sport, puisque six matches du championnat d’Europe de football seront proposés dans les mêmes conditions en juin prochain. Pour ce coup d’essai, dix-sept villes sont sur les rangs: dans chacune d’entre elles, une salle est dédiée à cette opération, soit au total plus de huit mille spectateurs potentiels (un demi Bercy). A Paris, le Gaumont Marignan, en bas des Champs-Elysées, est raisonnablement rempli, mais n’a pas été pris d’assaut.
Comme dans la confection d’un DVD, les bonus constituent un bon moyen de mettre en valeur le produit: autrement dit, on montrera dans les salles de cinéma ce que le spectateur ne peut voir sur place. Les premières images commencent avant même le début de la représentation: d’abord des vignettes statiques, à vocation informative, mais avec ce goût typiquement américain pour l’anecdote, si possible chiffrée – on apprend par exemple que le chef Nicola Luisotti est originaire de Viareggio, à vingt-huit kilomètres seulement de la ville natale de Puccini... La tension monte, le compte à rebours s’achève et Renée Fleming, métamorphosée en journaliste au brushing CNN, apparaît pour effectuer, depuis les coulisses, une présentation minimaliste. A l’entracte, son entretien avec le régisseur, ne sera pas plus traduit pour le spectateur francophone: du coup, une bonne partie du public en profite pour quitter la salle et marquer une pause, alors même qu’est ensuite ménagée une véritable interruption d’un quart d’heure, avec plan fixe sur les fauteuils vides du Met.
Tout paraît fignolé pour que le spectateur du cinéma se sente privilégié et se dise «on s’y croirait» ou, en tout cas, pour qu’il éprouve pleinement la sensation du «live»: le top presque militaire donné au chef, qui rejoint la fosse suivi par la caméra, les grands gestes d’Angela Gheorghiu regagnant les coulisses où l’on s’active pour mettre en place le prochain décor et, surtout, la réalisation, façon «caméra au poing», au ras de la rampe, privilégiant plans rapprochés et gros plans, qui s’enchaînent parfois assez brutalement. Mais le pari semble gagné, puisqu’à la suite de celui du Met, le public applaudit l’entrée du chef, les airs, les entrées en scène ou les décors. Ou bien est-ce pour se convaincre qu’il faut y croire?
De manière un peu paradoxale, la première vision que la France découvre du Met à cette occasion relève de ces productions conventionnelles, emblématiques de la maison mais que Peter Gelb, qui devra prochainement faire face à la concurrence de Gérard Mortier au New York City Opera, souhaite désormais équilibrer par des conceptions plus innovantes, évoquant ce fameux et infâmant «eurotrash» qui fait, dit-on, frémir le lyricomane nord-américain mais auquel les plus jeunes générations ne seraient pas insensibles. Car sans revenir sur ce que notre correspondant new-yorkais a déjà écrit de cette production qui, en onze ans, approche de sa quatre centième représentation (voir ici), Franco Zeffirelli n’a rien laissé au hasard, dans une indigeste surcharge de détails. Le réalisateur italien demeure donc égal à lui-même, comme un court reportage vient le confirmer à l’entracte, montrant quelques aperçus de ses dix autres productions au Met: pompeux et pesant, d’une volonté de réalisme qui tue toute vraisemblance. Une marque de fabrique de la part de celui qui, désormais âgé de quatre-vingt-cinq ans, avait aussi contribué, dans les années 1980, à la mode du film-opéra (La Traviata, Otello). Dans trois semaines, La Fille du régiment de Laurent Pelly offrira en revanche un visage plus moderne du Met.
Mais cette Bohème avait avant tout valeur de test. De ce point de vue, le meilleur côtoie le pire. Le meilleur, c’est la qualité du son numérique, avec une légère impression de réverbération, et de l’image haute résolution, qui seront plus ou moins bien restitués selon l’équipement dont disposent les salles. Le problème est cependant que le signal, qui transite par Londres, semble sensible aux conditions météorologiques: ainsi que Marc Welinski, directeur général de CielEcran le laissait craindre dans son propos liminaire, petites perturbations et soubresauts viennent trop souvent gâcher le plaisir. Surtout, l’image est sans cesse en avance sur le texte, les chanteurs ayant l’apparence de se livrer à un mauvais play-back. Difficile, dans ces conditions, d’avoir envie de rester pour les deux derniers tableaux, d’autant qu’on peut mettre ces inconvénients sur le compte des aléas de l’expérimentation et espérer par conséquent que le système soit rapidement amélioré.
Le spectateur new-yorkais a acquitté une somme allant de 27 à 295 dollars; dans les cinémas français, le tarif est fixé à 18 euros, deux fois plus que pour un film, celui-ci étant toutefois généralement deux fois moins long. Gérard Mortier a institué à l’Opéra Bastille une catégorie de places debout à 5 euros. Elles ne sont certes pas très nombreuses, mais elles permettent d’accéder à la magie d’un spectacle sans l’intermédiaire d’un écran et, surtout, d’une caméra. Cela étant, même si une majorité du public présent pour cette première fréquente sans doute régulièrement les temples de l’art lyrique, accéder à l’opéra, comme le rappelle fort utilement le nouveau directeur de France Musique, Marc-Olivier Dupin, n’est pas chose facile, peut-être pour des raisons davantage sociologiques que financières. Toute initiative en ce sens mérite donc d’être saluée. Elle ne s’adresse bien entendu pas prioritairement à ceux qui ont la chance d’avoir déjà levé ces obstacles, car ils continueront de préférer l’opéra «pour de vrai», mais elle donnera peut-être à d’autres l’envie de les rejoindre. Et nul doute que d’autres grandes maisons d’opéra seront tentées de suivre cet exemple.
Le site de CielEcran
Simon Corley
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