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Manichéisme et schizophrénie Paris La Péniche Opéra 03/31/2008 - et 4, 5, 7, 11, 12, 14 avril 2008 Alexandros Markeas : Outsider (création)
Maja Pavlovska (Zelia), Bernard Delétré (Jules Dassin), Marie Gautrot (Kathleen), Vincent Bouchot (Anatoli)
Ensemble 2e2m: Pierre-Stéphane Meugé (saxophone), Frédéric Baldassare (violoncelle), Tanguy Menez (contrebasse), Claude Lavoix (piano, chef de chant), Véronique Briel (piano), Yannick Lopes (accordéon, guitare), Pierre Roullier (direction musicale)
Mireille Larroche (mise en scène et scénographie), Francesca Bonato (collaboration à la mise en scène et chorégraphie), Danièle Barraud (costumes), Jean Grison (lumières)
La création d’Outsider d’Alexandros Markeas (né en 1965) a lieu le jour même de la mort à Athènes, à l’âge de quatre-vingt-seize ans, de Jules Dassin, qui est l’un des quatre personnages de cet «opéra transatlantique d’après les chemins croisés d’Elia Kazan et Jules Dassin», commande d’Etat, coproduction de la Péniche Opéra et de l’Ensemble 2e2m. Transatlantique, puisque le Grec a rejoint les Etats-Unis tandis que l’Américain trouvait, après la France, une seconde patrie d’adoption en Grèce. Transatlantique aussi puisque Zelia quitte Athènes pour rejoindre son cousin Anatoli, compositeur en panne d’inspiration émigré à New York, qui travaille avec son épouse Kathleen, cantatrice, sur un opéra d’après America, America (1963) de Kazan.
Mais Zelia et Anatoli, outsiders (étrangers) aux Etats-Unis, sont rongés par l’idée de la trahison; forcément, puisque leurs prénoms évoquent directement Elia Kazan (1909-2003), né en Anatolie: le cinéaste a également trahi, dénonçant ses amis sous le maccarthysme. Théâtre dans le théâtre: l’opéra de Markeas comme celui auquel travaille Anatoli ont tous deux pour sujet l’auteur de Sur les quais. Mais aussi théâtre rattrapé par la réalité: non seulement Zelia s’adresse aux spectateurs, disposés comme dans une taverne, et leur offre des verres de résiné, non seulement Vincent Bouchot, qui incarne Anatoli, est lui-même compositeur, mais l’étrange coïncidence de la disparition du réalisateur de Topkapi ne peut que susciter une étrange sensation.
Riche en potentialités, le livret de May Bouhada (née en 1972) bute toutefois sur des maladresses d’expression mais surtout sur un principe à la fois manichéen et schizophrène. Il oppose ainsi deux parties de durée inégale (respectivement soixante et quarante minutes) – se déroulant chacune dans une péniche différente, le public étant invité à migrer durant l’entracte – et que tout semble opposer: Occident contre Orient, Etats-Unis contre Grèce, New York contre Athènes, Kathleen contre Zelia, Anatoli contre Jules Dassin, whisky contre ouzo, fauteuils en cuir contre chaises en bois, store à lamelles métalliques contre rideaux en tissu. La musique se coule également dans cette pensée binaire qui n’échappe pas toujours aux clichés: saxo, violoncelle, contrebasse et piano à queue contre accordéon, guitare et piano droit, décantation de Bernstein contre mélopée orientale, mouvements de swing contre esquisses de sirtaki.
Même les images diffusées sur les moniteurs ou sur les toiles (interviews, reportages, photographies, extraits de films, Super 8 familial, ...) traduisent cette dualité: Un tramway nommé désir contre Jamais le dimanche, Blanche contre Ilya. Car les moyens techniques mis en jeu sont importants relativement à l’exiguïté des lieux. La mise en scène de Mireille Larroche, fondatrice de la Péniche Opéra, exploite le moindre centimètre carré, faisant se mouvoir les chanteurs parmi les solistes de 2e2m et parmi l’assistance. Et aux écrans déjà mentionnés s’ajoute un riche arsenal technique: caméscope en temps réel, superposition d’images en direct et d’archives, lecteur de disques portable, interpolation d’extraits musicaux de la première partie dans la seconde. Un dispositif qui a le mérite de casser le cou aux habitudes mais de tordre celui du spectateur, qui a l’impression de suivre un match de tennis, agrémenté de petites chorégraphies qui tombent comme des cheveux sur la soupe.
Le tout pour délivrer un message nécessairement sympathique (honte aux traîtres) en même temps qu’aux connotations esthétiques curieusement passéistes – le chant retrouvé, home sweet home et chacun chez soi, puisque Zelia retourne finalement au pays et à cette mélodie populaire qui fascinait Anatoli – message qui paraît d’autant plus court que, malgré une construction originale, la seconde partie tenant à la fois lieu de prologue en forme de flash-back et d’épilogue, le temps semble parfois bien long, notamment dans la première partie. Sans que les interprètes y puissent mais, la monotonie des parties vocales, entre récitatif et grands intervalles, y tranche en effet avec la maîtrise de l’écriture instrumentale; plus ramassée, plus économe mais aussi plus diverse, enrichie par la pétillante Zelia de Maja Pavlovska sans oublier la belle composition de Bernard Deletré en Jules Dassin, notamment dans une étonnante scène d’ivresse, la seconde partie laisse donc sur un sentiment plus positif.
Simon Corley
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