About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un certain regard

Paris
Théâte du Châtelet
03/14/2008 -  Et les 16, 18, 20, 22 & 24 mars
Albert Roussel : Padmâvatî
Sylvie Brunet (Padmâvatî), Finnur Bjarnason (Ratan-Sen), Alain Fondary (Alaouddin), Yann Beuron (le Brahmane), Blandine Folio Peres (Nakamti), François Piolino (Badal), Laurent Alvaro (Gora), Alain Gabriel (le Veilleur), Jean-Vincent Blot (Un prêtre)
Chœur du Châtelet, Orchestre Philharmonique de Radio France, Lawrence Foster (direction)
Sanjay Leela Bhansali (mise en scène)


Le python ayant déclaré forfait ou ayant été congédié, il fallut se contenter de l’éléphant d’Alaouddin au premier acte et d’un tigre apparemment fort mécontent au second. Le cheval est-il de chez nous ? On aurait pu, à vrai dire, se passer des trois. Mais on en parlait beaucoup et cela excitait la curiosité : si c’était le prix à payer pour qu’on vienne voir Padmâvatî, un des chefs-d’œuvre de l’opéra français des années vingt, c’est tant mieux. A travers le retour à l’opéra-ballet du XVIIIe, Roussel apportait sa réponse à la question de l’opéra du XXe siècle, plombé par l’ombre de Wagner et celle de Debussy.


En faisant appel, pour le mettre en scène, au plus célèbre cinéaste indien du moment, le Châtelet s’assurait d’emblée d’une certaine fidélité à l’exotisme de l’œuvre, où se reflète la fascination qu’exerça l’Inde – il voyagea au Rajastan en 1909 - sur Roussel, dont le librettiste, Louis Laloy, était lui-même un orientaliste distingué. De fait, Padmâvatî fait partie de ces partitions aux couleurs de l’Asie, celle des expositions universelles, celle des voyages dans les lointains coloniaux, celle des fantasmes alimentés par la peinture ou la littérature, sans qu’on y déplore la moindre trace de chromo ou de bazar, tant l’orientalisme est intégré à une écriture qui le transcende – nous sommes loin du pittoresque à la Saint-Saëns. A l’inverse, la production de Sanjay Leela Bhansali vise plutôt la reconstitution. « Kitsch et gadget » entendait-on à la sortie. C’est là juger un peu vite, ou plutôt se tromper de perspective : cette Padmâvatî relativise nos conceptions - et notre bonne conscience - de spectateurs occidentaux. On ne peut pas pontifier sur le dialogue entre les cultures et se gausser d’une production qu’on n’oserait pas, il est vrai, présenter à Bastille ou à Garnier. Saluer les mérites de ce spectacle très scrupuleusement monté n’empêche pas d’applaudir Parsifal mis en scène par Krzysztof Warlikowski.


Il faut donc adopter de bonne grâce ce regard naïf sur l’œuvre de Roussel, ce côté conte oriental tiré d’un livre d’images bariolées. Accepter que Padmâvatî ressemble à Lakmé. Admirer ces saris colorés, ces soies mousseuses, ces décors chamarrés. Se repaître de tout ce luxe avec des yeux d’enfant. Se laisser prendre par cette chorégraphie très illustrative, par ces langoureuses femmes du palais au premier acte et ces larves rampantes au second, pendant la cérémonie funèbre. Avoir envie de rejoindre au paradis Padmâvatî et Raten-Sen réunis. Ne pas sourire de tous ces lotus, symboliquement associés à Padmâvatî. Bref, s’embarquer sans mauvaise conscience pour les splendeurs de Bollywood au lieu d’évoquer Mogador. Sans oublier que, au-delà de l’exotisme de la chose, la reine de Tchitor incarne l’héroïsme résistant, justifiant la lecture par Jean-Luc Choplin, avant le lever du rideau, d’un beau texte d’Ingrid Betancourt. La mise en scène, d’ailleurs, n’est pas si uniforme : le duo entre Padmâvatî et Ratan-Sen, qui, devant le massacre de son peuple, envisage de livrer sa chère épouse à Alaouddin, prend place dans un décor beaucoup plus nu et donne lieu à une scène très sobre dans sa violence, jusqu’à ce que la reine frappe le roi.


Et la musique est si belle ! Lawrence Foster, infatigable défenseur des musiques méconnues – n’oublions pas son dévouement à Enesco – a fait faire un très beau travail au Philhar’, tant sur les timbres que sur les rythmes, si importants chez Roussel, créant des atmosphères variées et n’oubliant jamais qu’il dirige un opéra-ballet, très narratif et très pictural dans sa direction. Vocalement, les choses sont plus inégales. Le chœur, peut-être le personnage le plus important de Padmâvatî, s’est montré valeureux, parfois un peu à la peine. Remplaçant Marie-Nicole Lemieux, Sylvie Brunet a le port de reine de Padmâvatî, d’une noblesse toute tragique au second acte, mais poitrine trop dans les graves, ce qui dessoude les registres et nuit à la déclamation dans cet ouvrage si français du point de vue de l’écriture vocale. C’est par là que pèche le Ratan-Sen de Finnur Bjarnason, dont les fort louables efforts en matière d’articulation ne compensent pas un manque de familiarité avec la prosodie de notre langue. On regrette d’autant plus l’usure de la voix d’Alain Fondary : lui a le style. Il ne peut cependant plus contenir son vibrato et a souvent du mal à passer la rampe, campant du coup un Alaouddin bien fatigué, assez loin de la morgue et de la passion du personnage. Si bien que ce style français est surtout défendu par Yann Beuron, Brahmane extasié, dont la célèbre évocation de Padmâvatî, fondée sur une gamme hindoue notée par Roussel, ouvre la porte à tous les enchantements d’un Orient fantasmé.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com