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Dominante bleue

Paris
Cité de la musique
02/29/2008 -  
Anton Webern : Six pièces pour orchestre, opus 6 (*)
Alban Berg : Trois Fragments de «Wozzeck», opus 7 (*)
Reinhard Fuchs : Blue poles (création française)
Bernd Alois Zimmermann : Photoptosis (*)

Angela Denoke (soprano)
Orchestre du Conservatoire de Paris (*), Ensemble intercontemporain, Susanna Mälkki (direction)


Jusqu’au 6 mars, la Cité de la musique propose un cycle de six concerts intitulé «Utopies et réalité», une bannière suffisamment fédératrice pour accueillir à la fois Mantovani, Schnittke et Weill ainsi qu’un forum «Musique et communisme» mais aussi ce programme coproduit avec le Conservatoire national supérieur de Paris et l’Ensemble intercontemporain: un véritable «concert à deux orchestres», contrairement à la plupart des manifestations comparables qui se contentent de faire alterner deux formations. Mais ici, les membres de l’EIC sont les chefs de pupitres de la phalange qu’ils constituent pour l’occasion avec les étudiants de l’Orchestre du Conservatoire, avec à leur tête Susanna Mälkki, directrice musicale de l’EIC depuis 2005.


Les musiciens de l’EIC peuvent ici apporter leur expérience de la musique des XXe et XXIe siècles à leurs jeunes collègues. Faut-il parler pour autant de «musique contemporaine»? Car l’EIC lui-même brouille les cartes, en distribuant au public un questionnaire écrit, en forme de sondage, qui inclut perfidement Schönberg parmi une liste de «compositeurs de musique contemporaine». Voilà qui aurait en tout cas certainement amusé celui qui s’interrogeait avec ironie sur la notion de «modernité» dans ses Trois Satires pour chœur ou dans son opéra Von Heute auf Morgen. Et la première partie de la soirée, dédiée à Webern et Berg, vient évidemment confirmer que même ses deux disciples appartiennent depuis belle lurette aux grands classiques.


Au demeurant, l’Opus 6 (1909) de Webern est presque centenaire, ce que donne à entendre l’interprétation de Susanna Mälkki. Non que soit émoussée la force expressive de ces Six Pièces – dans leur version de 1928 à l’effectif (relativement) allégé –, bien au contraire: ainsi l’explosion de violence de la quatrième pièce se fait-elle certes attendre, mais elle n’en acquiert que davantage de force. Et la rigueur du geste n’en laisse pas moins jaillir réminiscences (Mahler), séductions viennoises et couleurs chatoyantes.


De même, les Trois Fragments de «Wozzeck» (1922/1923) de Berg regardent vers la tradition de l’opéra. Ce tropisme est inhérent à la nature même de ces extraits, qui évoquent des figures familières (marche militaire, berceuse, interlude symphonique), mais il est sans doute renforcé par la prestation d’Angela Denoke, magnifique, mais suggérant davantage un idéal straussien que la crudité des années 1920.


En ouverture d’une seconde partie plus nettement «contemporaine», Blue poles (2003) de Reinhard Fuchs (né en 1974) était confié au seul EIC: six bois, trois cuivres, sept cordes, piano/célesta et deux percussionnistes. Présent pour la première française de l’œuvre, commande des Journées musicales de Donaueschingen et de l’ensemble Klangforum, qui en assura la création dans la cité badoise, le compositeur autrichien, élève de Michael Jarrell, se réfère explicitement à Blue poles Number 11 (1952) de Pollock. Il est effectivement loisible d’y entendre la transposition sonore d’une dialectique entre le premier plan (les «pôles» verticaux de couleur bleue) et l’arrière-plan (une pâte plus dense et complexe): événements et ébauches de mélodies se succèdent sur un fond mobile et vigoureux. Ce maelstrom foisonnant et non sans séductions alterne avec des plages plus calmes, axées sur le matériau, les timbres rares, voire les bruitages, tendant vers l’imperceptible. La partition qui, si elle dure moins de vingt minutes, peine parfois à se renouveler, mais peut-être Fuchs, en développant un peu trop sa partition, a-t-il voulu aussi rendre compte de la surface hors norme du tableau de Pollock (plus de 10 mètres carrés).


C’est le bleu qui se trouve également à la source de Photoptosis (1968), «prélude pour grand orchestre» de Bernd Alois Zimmermann. On ne sait ce que les responsables de la caisse d’épargne de Gelsenkirchen avaient en tête lorsqu’ils demandèrent au compositeur allemand de célébrer le centième anniversaire de leur institution, mais toujours est-il que Zimmermann fut inspiré par les six monumentaux monochromes (1958) que Klein conçut pour le Musiktheater im Revier de la ville rhénane, qui avait fait appel à une équipe internationale d’architectes et d’artistes. Si le minimalisme provocateur de la Symphonie Monoton Silence (vers 1947-1948) du peintre français traduit une conception de la musique que n’aurait pas reniée Cage, les treize minutes de Photoptosis présentent en revanche une toute autre ambition.


Les dimensions de l’orchestre, riche en instruments peu usités (hautbois d’amour, tuba «wagnérien», trompette basse, trombone contrebasse), contribuent à expliquer que cette pièce apparaisse fréquemment à l’affiche et il ne fallait donc pas laisser passer un tel événement. Les premières pages rappellent les recherches que Ligeti accomplissait au même moment, d’Apparitions à Lontano en passant par Atmosphères, mais la saturation polyphonique, le refus des concessions et le langage, d’une saisissante virulence, se situent dans la droite ligne des Soldats, pour un passage de la nuit à la lumière, via d’énigmatiques et fugaces citations de Bach, Beethoven, Wagner, Tchaïkovski et Scriabine.



Simon Corley

 

 

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