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Schumann à l’opéra Zurich Opernhaus 02/17/2008 - et les 19, 21, 23, 26*, 28 février, 2 et 4 mars 2008
Robert Schumann: Genoveva
Juliane Banse (Genoveva), Cornelia Kallisch (Margaretha), Ruben Drole (Hidulfus), Martin Gantner (Siegfried, Pfalzgraf), Shawn Mathey (Golo), Alfred Muff (Drago, Haushofmeister), Tomasz Slawinski (Balthasar), Mathew Leigh (Caspar)
Chœur de l’Opernhaus de Zurich (préparation: Ernst Raffelsberger), Orchestre de l’Opernhaus, Nikolaus Harnoncourt (direction musicale).
Martin Kusej (mise en scène), Rolf Glittenberg (décors), Heidi Hackl (costumes), Jürgen Hoffmann (lumières)
Nikolaus Harnoncourt en a longtemps caressé l’idée, et c’est finalement à Zurich qu’il a pu réaliser son rêve: diriger une production scénique de Genoveva, l’unique opéra de Schumann. Le chef autrichien connaît bien l’ouvrage («peut-être la composition lyrique la plus importante de la seconde moitié du XIXe siècle, un chef-d’œuvre qui mérite qu’on monte aux barricades», a-t-il déclaré) pour en avoir proposé plusieurs représentations concertantes ainsi qu’un enregistrement en 1996. Pour cette exhumation zurichoise, il s’est adjoint la collaboration de Martin Kusej, reformant ainsi un duo qui a connu de jolis succès à Salzbourg.
Avec Genoveva – créée en 1850 à Leipzig –, Schumann a voulu réformer le genre lyrique allemand, en composant un «opéra national». Une tentative restée sans lendemain, comme on le sait, puisque, malgré un grand succès initial, l’œuvre est vite tombée dans l’oubli, considérée comme manquant de fibre dramatique. Le livret s’inspire d’une vieille légende germanique: Siegfried part en guerre contre les infidèles et demande à son ami Golo de prendre soin de son épouse, Genoveva, dont Golo tombe instantanément amoureux. Repoussé par la jeune fille, Golo transforme son amour pour elle en haine, l’accusant d’infidélité. Siegfried ordonne alors l’exécution de sa femme, avant de se raviser au dernier moment.
Cette nouvelle production zurichoise restera sans conteste comme l’un des grands moments de la saison. Martin Kusej et Nikolaus Harnoncourt réussissent le tour de force de rendre terriblement poignant un ouvrage des plus statiques, sans véritable action. Pour le metteur en scène, Genoveva est un drame intérieur, un combat des âmes, où les personnages évoluent dans une pièce totalement blanche, sorte de chambre d’hôpital ou de prison, avec pour seuls accessoires une chaise et un lavabo surmonté d’un miroir. Chaque interprète est le symbole de déchirements intérieurs, d’aspirations étouffées ou de désirs inavouables, étudiés avec une précision toute scientifique. Les chanteurs en effet sont magnifiquement soutenus par une direction d’acteurs criante de vérité, réglée au millimètre près, comme on voudrait en voir plus souvent sur les scènes d’opéra. Résultat: des images fortes, violentes, qui ne peuvent laisser le spectateur indifférent. Il faut dire que le metteur en scène a pu compter sur une équipe de solistes homogène, aux qualités d’acteur indéniables. Tous contribuent au succès de la soirée à un titre identique, sans hiérarchie aucune.
Comme il nous l’a déjà montré avec ses récentes Noces salzbourgeoises, Harnoncourt préfère nous faire entendre chaque détail de l’œuvre, faisant un sort à chaque note, à chaque nuance, plutôt que de privilégier la conception d’ensemble. Ce faisant, il réussit à nous faire comprendre, dès l’ouverture – pièce qui figure parfois aux programmes des concerts symphoniques – combien la musique de Schumann peut être moderne et prenante, avec ses dissonances inquiétantes, préfigurant les pulsions des forces du mal. La présence de caméras dans la salle laisse augurer de la sortie prochaine d’un DVD, qui devrait permettre au plus grand nombre de partager cette réussite.
Claudio Poloni
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