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Prazak versus Huberman : Janacek entre génie et ennui. Paris Théâtre des Bouffes du Nord 11/29/1998 - et 3 décembre 1998
Dimanche 29 novembre 1998
Théâtre des Bouffes du Nord
Leos Janacek : Quatuor n°1 " Sonate à Kreutzer "
Leos Janacek : Quatuor n°2 " Lettres intimes "
Quatuor Prazak
Paris
Jeudi 3 décembre 1998
Auditorium du Louvre
Leos Janacek : Quatuor n°1 " Sonate à Kreutzer "
Leos Janacek : Quatuor n°2 " Lettres intimes "
Quatuor Huberman Hasard de programmation, deux formations nous ont proposé cette semaine un programme identique, consacré aux quatuors de Janacek. Pièces maîtresses du répertoire pour quatuor à cordes, oeuvres extrêmes de ce compositeur qui demeure, en nos contrées, à découvrir, les deux quatuor sont relativement rares à la scène. Passage obligé des formations de l’est, les quatuors de Janacek sont un peu délaissés - fuis ? - par les formations européennes ou américaines. Ils sont, tant sur le plan technique que sur le plan stylistique, d’une difficulté d’exécution rare.
Les deux formations en présence résultent de parcours fort différents. Quatuor bohémien constitué au conservatoire de Prague il y a une vingtaine d’années, le quatuor Prazak est un brillant représentant de l’art du quatuor : unité de jeu et expression extrême les caractérisent, de Beethoven à la Seconde Ecole de Vienne, de Schubert à Janacek ou, plus récemment, à Pascal Dusapin. Le quatuor Huberman est constitué, depuis 1995, de solistes qui se consacrent à la musique de chambre en marge de leur cheminement individuel. La formation joue ici pour la première fois en France.
Le programme est, pour les Prazak, taillé sur mesure. Clôture d’un cycle de trois concerts, les quatuors de Janacek s’imposent comme un retour aux sources. La sonorité rauque et pleine du quatuor, sa violence dans l’exécution, son sens de la rupture servent extraordinairement cette musique écorchée, tendre et disloquée, toujours en mouvement. Ombre du son, le bruit l’accompagne, plus ou moins masqué, lui donne du relief, le rend à la matérialité des instruments. Centre du second quatuor, l’alto utilise son aptitude au bruit comme point crucial, en un jeu de timbres passionnant. Le quatuor est concentré vers l’inaudible point de rencontre d’où procèdent les gestes des uns et des autres et qui seul lui permet de se laisser aller à une telle fureur, dans une tension communicative. La mise en scène confrontait la musique du compositeur à un texte de Tolstoï et à des extraits de la correspondance du compositeur. Il est à regretter que ces lettres aient été lues entres les mouvements du second quatuor : la voix grave et posée de Dominique Reymond, comédienne, brisait le fil d’excitation qui assure au quatuor son unité dramatique.
Le quatuor Huberman ne sut nous communiquer cette excitation. Le jeu paraît artificiel : les rondeurs sont propres, les stridences sans mystère, les accents sans moelleux. Le bruit n’est plus joué comme sous-jacent à l’écriture, il est imposé comme à regret au son. Le manque d’unité du quatuor le rend incapable de jouer l’éclatement de l’écriture. La musique coule en une vaine continuité où tout se vaut, où les gestes sont indifférents les uns aux autres, où la nervosité, la précipitation et la complaisance remplacent la rage, la tension et la tendresse attendues. C’est beaucoup de crins cassés pour si peu.
Gaëlle Plasseraud
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