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Ce qui reste de Karajan

Paris
Salle Pleyel
01/25/2008 -  et 23 (Berlin), 26 (Luzern), 28 (Wien) janvier 2008
Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon en ré majeur, op. 61
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Symphonie n°6 en si mineur "Pathétique", op. 74

Anne Sophie Mutter (violon)
Orchestre Philharmonique de Berlin, Seiji Ozawa (direction)


Alors qu’elle n’a que treize ans, Karajan l’engage pour jouer avec la Philharmonie de Berlin. Lui est pris comme assistant à moins de trente ans, après le concours de Besançon et le concours Koussevitzky. Chacun ne tarda pas, ensuite, à devenir un habitué de Salzbourg. Anne Sophie Mutter et Seiji Ozawa devaient bien à leur mentor, pour le centenaire de sa naissance, l’hommage de ce concert. Un programme alla Karajan, justement : Concerto pour violon de Beethoven et Symphonie pathétique de Tchaikovski. Quant à l’illustre phalange, comment imaginer qu’elle ne célèbre pas celui qui s’identifia à elle – la réciproque est aussi vraie - pendant des décennies… même si l’idylle, à la fin, tourna plutôt à l’aigre ? Herbert von Karajan fut effet, qu’on le veuille ou non, un des plus grands chefs de son temps. Sous la direction de Claudio Abbado, puis de Simon Rattle, l’orchestre a changé : les musiciens se sont renouvelés, le répertoire s’est ouvert et modernisé, la sonorité de l’ensemble s’est modifiée. Mais quelque chose demeure de l’ancien directeur à vie : l’exigence de perfection, qu’on trouve rarement, même dans les plus grands orchestres, poussée à ce degré. Et il faut « voir » les Berlinois jouer.


Cette perfection en finirait-elle presque par gêner ? Dès le début du Concerto de Beethoven, les couleurs de l’orchestre ont une stupéfiante beauté et les nuances sont exactement celles de la partition. On a beau jeu de dauber sur l’acoustique de la salle Pleyel : un pianissimo n’est pas ici un piano et aucun fortissimo - cela se confirmera avec la Pathétique - n’agresse. Seiji Ozawa, il est vrai, y veille comme personne, dosant la moindre note, laissant entendre ici ou là des détails qu’on avait oubliés ou presque jamais perçus. Le passage du Larghetto où le violon chante sur des pizzicati des cordes ne touche plus terre, pas plus que celui de l’Allegro ma non troppo initial où, juste avant la réexposition, on entend ce la joué pianissimo par les trompettes et les timbales. La mariée serait-elle trop belle ? Avouons que la structure semble parfois passer au second plan, comme si l’on nous montrait plus la richesse des matériaux que la puissance de l’édifice. L’intégration du violon à l’orchestre renforce cette impression. Non que la violoniste s’efface : ce n’est pas son genre. Mais ni le chef ni elle, qui se sont plus d’une fois produits ensemble, sans parler de leurs disques, ne conçoivent la partition comme un affrontement. Et l’on retrouve le même raffinement dans le jeu d’Anne Sophie Mutter, avec un dosage impressionnant de la dynamique – quitte à détimbrer quelque peu lorsqu’elle joue pianissimo. Non moins impressionnante est la rondeur charnue du son, de même que la maîtrise souveraine de la ligne, qu’elle infléchit parfois d’un rubato enjôleur peu goûté des puristes. Le Bach donné en bis est à l’avenant.


Comme la Quatrième et la Cinquième Symphonies, la Pathétique de Tchaikovski, était un des chevaux de bataille de Karajan, qui y déployait tous les fastes de son orchestre en y ajoutant une irrépressible morbidezza. Ozawa prend un autre parti, celui de la musique pure, plus architecte ici que dans le Concerto de Beethoven, toujours aussi maître de lui, de l’orchestre et de la musique. Le contraire d’un Bernstein, qui traitait Tchaïkovski comme un double slave de lui-même. C’est avant tout la forme, plus que les tourments d’une âme confrontée à la mort, en tout cas au début, qui paraît intéresser le chef japonais. Et l’on entend tout, même au plus fort de ces tempêtes sonores que Tchaïkovski a l’art de déchaîner et qu’il prépare avec un sens très affûté de la progression, ce qui les rend plus éblouissantes encore. L’Adagio initial commence comme de la musique de chambre, avec, à la fin, un incroyable pianissimo de la clarinette et du basson, juste avant le coup de tonnerre qui lance l’Allegro vivo - saisissant, le contraste est rien moins qu’artificiel. Pas besoin de chercher la partition : elle est là, tout entière, toute nue. Pour refuser la guimauve, bannit-il l’émotion ? Il la fait jaillir de la musique elle-même. A des degrés divers : il manque un « je ne sais quoi » à la beauté plastique de l’Allegro con grazia, réservé à l’Adagio lamentoso final, où le chef chante à l’unisson de l’orchestre la plainte déchirante de l’agonie. Il n’est pas sûr que l’on puisse diriger ainsi la Pathétique avec beaucoup d’orchestres : lequel pourrait faire mourir les dernières mesures dans un tel diminuendo ?


Ozawa est-il l’héritier de Karajan ? Pas vraiment, même s’ils ont en commun une quête maniaque de l’exactitude, en matière tempo, de rythme et de son. Ozawa, par exemple, a une direction plus horizontale que son mentor. Il n’a pas la même approche interprétative. Mais il est, comme lui, un fabuleux chef d’orchestre.



Didier van Moere

 

 

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