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Fausse monnaie

Lyon
Opéra national de Lyon
11/21/1998 -  et 22, 23, 24, 26, 27, 28, 29 novembre 1998
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni
Roberto Scaltriti (Don Giovanni), Nicola Ulivieri (leporello), Nathan Berg (Masetto), Kenneth Tarver (Don Ottavio), Alessandro Guerzoni (Le Commandeur), Monica Colonna (Donna Anna), Véronique Gens (Donna Elvira), Catrin Wyn-Davies (Zerlina)
Mahler Chamber Orchestra, Daniel Harding (direction)
Peter Brook (mise en scène)

Ce n'était donc qu'une vaste fumisterie. La production phare de la cinquantième édition du Festival d'Aix-en-Provence, le retour de Peter Brook à l'opéra après quarante ans d'absence, une jeune génération de chanteurs travaillant l'ouvrage pendant des mois, un jeune chef adoubé par les plus grands… tout cela n'était que fumées et mirages. Une énorme esbroufe, rien de plus.

Le plateau nu, seulement agrémenté "d'éléments scéniques" achetés aux soldes de Castorama, affiche déjà sa fausse prétention. Considérer que les décors ne peuvent que détourner l'attention des spectateurs du jeu des acteurs révèle surtout une incapacité à penser le phénomène théâtral dans sa globalité (avec ce raisonnement on pourrait aussi supprimer la musique puisqu'elle détourne l'oreille du texte du livret). Mais l'incapacité est ici chronique tant le jeu d'acteur sombre dans une confondante médiocrité. L'Auditorium du Louvre a diffusé le 4 novembre dernier la production aixoise de 1964 de Don Giovanni, le sens théâtral des chanteurs (notamment Gabriel Bacquier) est dix fois plus naturel, intelligent, subtil que celui de ses successeurs de l'édition 1998. Nul besoin d'ailleurs de remonter aussi loin pour trouver mieux, le travail de Peter Brook dépasse à peine un exercice de fin de cycle d'étudiants de conservatoire ou de centre de formation lyrique et ne vaut que par les talents d'acteur propres des interprètes (très faibles ce soir, mais Peter Mattei en Don Giovanni et Gilles Cachemaille en Leporello, dans la seconde distribution, feront peut être mieux). Les attitudes sont conventionnelles, manquent de rythme et trahissent une mise en place très lâche. Plus inquiétant, de nombreuses incohérences formelles subsistent (par exemple, toutes les scènes se passant la nuit se font projecteurs baissés sauf la première scène du premier acte ; dans le deuxième acte, Don Giovanni prend le chapeau de Leporello pour se faire passer pour lui, puis s'en débarrasse (!) et prend celui d'un paysan qui traînait ; tous les éléments scéniques utilisés par les chanteurs sont apportés par les membres de la troupe sauf le balcon d'Elvire qui descend des cintres). Plus grave, la caractérisation des personnages est fluctuante (Don Giovanni a l'air d'un marlou mais ce parti-pris n'est même pas assumé tout au long de l'opéra), indécise (le paysan Masetto et le noble charmeur se conduisent de la même façon) et incohérente (Don Giovanni, surpris par ses invités masqués à la fin du premier acte, prend un air penaud et se met presque à pleurer !). Enfin, l'animation des récitatifs, par ses clichés, évoque moins le théâtre que les sit-coms télévisuels. Le résultat n'est qu'une agitation vide de brouillons de personnages.

En dehors de certaines qualités réelles (mise en place, ne couvre pas les chanteurs), Daniel Harding participe allègrement à l'escroquerie de cette production par ses tempos uniformément rapides (l'introduction de l'ouverture prise au même rythme que la suite, stupidité sans nom) qui feraient aimer Mozart aux rapeurs ainsi que par ses effets de manche dignes d'un prestidigitateur de foire : il casse le tempo à deux reprises (le "Dualla sua pace" de Don Ottavio et le "Deh vieni alla finestra" de Don Giovanni) pour créer un "moment magique" à deux francs (au détriment de la ligne mélodique et du chanteur dans le deuxième cas).

Le plateau vocal est à l'avenant, les timbres sont ternes, les techniques limitées, les souffles courts et l'art de la nuance inconnu. Miraculeuse exception : Véronique Gens, qui réunit tout ce qui manque aux autres. La seule à défendre Mozart ce soir. Cette production essaie de nous faire prendre l'agitation pour de la vie, la précipitation pour de la vivacité, l'inconsistance pour de la simplicité, mais tout, ce soir, n'était que fausse monnaie. L'aura médiatique dont bénéficie ce Don Giovanni prouve simplement que le nom de Peter Brook fait un excellent produit marketing et est vendu comme tel.



Philippe Herlin

 

 

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