Back
Gaveau a cent ans Paris Salle Gaveau 12/18/2007 - Maurice Ravel : La Valse
Maurizio Baglini (piano)
Maurice Ravel : Tzigane
Fanny Clamagirand (violon), Vania Cohen (piano)
Francis Poulenc : Les Chemins de l’amour
George Gershwin : Summertime (extrait de «Porgy and Bess»)
Adina Aaron (soprano), Maurizio Baglini (piano)
Humour musical
Herman van Veen (voix, violon, piano), Edith Leerkes (guitare)
Frédéric Chopin : Nocturne en ut dièse mineur, opus posthume – Nocturnes, opus 9 n° 1 et n° 2
Jean-Marc Luisada (piano)
Maurice Ravel : Pantoum (extrait du Trio)
Trio Wanderer: Vincent Coq (piano), Jean-Marc Phillips-Varjabedian (violon), Raphaël Pidoux (violoncelle)
Barbara Strozzi : Lamento de l’Eraclito amoroso
Lucilla Galeazzi : Voglio una casa
Lucilla Galeazzi (chant), Philippe Jaroussky (contre-ténor), Anna Dego (danse), L’Arpeggiata, Christina Pluhar (direction)
Juliette Noureddine : L’Eternel féminin
Juliette (chant et piano)
Vincenzo Bellini : O quante volte (extrait de «I Capuleti et I Montecchi»)
Fernando Obradors : Las Coplas de Curro Dulce
Inva Mula (soprano), Kira Parfeevets (piano)
Dimitri Chostakovitch : Concertino pour deux pianos, opus 94
Maurice Ravel : Laideronnette, impératrice des pagodes – Le Jardin féerique (extraits de «Ma mère l’oye»)
Martha Argerich, Nelson Freire (piano)
Comme nul ne sait à quoi ressemblera la Salle Gaveau dans cent ans ou même dans dix ans, autant célébrer luxueusement son premier centenaire: c’est en effet le 3 octobre 1907 que le bâtiment conçu par l’architecte Jacques Hermant a été inauguré avec un concert du Lehrergesangverein de Brême, suivi, dès le 11 octobre, par la première prestation de l’Orchestre Lamoureux dans ce nouveau lieu où il avait choisi d’élire domicile – on ne disait alors pas encore «en résidence». Un siècle plus tard, la notoriété des mille fauteuils bouton d’or de la rue La Boétie vient sans doute davantage de l’actualité électorale que de la musique, mais au moins ont-ils le mérite d’avoir résisté à l’épreuve du temps.
Car à l’issue de la faillite de la maison Gaveau, l’immeuble devait être transformé… en garage. C’est cette même année qu’un jeune élève de Lucette Descaves s’était produit pour la première fois dans cette salle: Jean-Marie Fournier, qui, avec sa femme Chantal, reprend le fonds de commerce en 1976. Classé monument historique en 1992, l’ensemble fait l’objet de travaux de restauration achevés en 2001. Ayant acquis les murs en 2004, les époux Fournier viennent de mener à bien une seconde série d’améliorations, visibles (entrée) ou non (loges) du public.
Tout cela valait bien un gala sous le haut patronage du Président de la République – qui y avait fêté sa victoire au printemps – avec présentation par Alain Duault, captation par France 3, tombola et souper à 150 euros «réservé aux places de première catégorie». Les mondes du spectacle, de la communication, des affaires et de la politique se sont laissé séduire, mais l’essentiel n’est évidemment pas là: même si la programmation de cette scène chargée d’histoire et appropriée à des styles très différents (musique de chambre, récital, baroque, jazz, …) souffre d’un manque d’unité et de visibilité, les artistes, dont le nom avait été tenu secret jusqu’à la dernière minute, n’en ont pas moins souhaité témoigner de leur fidélité.
Gaveau est notamment la vitrine parisienne des «Masters» de Monte-Carlo, fondés en 1989 par Jean-Marie Fournier. Trois musiciens sont venus illustrer chacune des disciplines au programme, par cycles triennaux, de cette «finale des finalistes» des concours internationaux. Décoratif et imprécis, maniéré et tapageur, Maurizio Baglini, vainqueur en 1999, défigure La Valse (1920) de Ravel, rendant le propos totalement incohérent par une vertigineuse élasticité de tempo. Couronnée en juin dernier, Fanny Clamagirand, excellemment secondée par Vania Cohen, manque de projection et de couleur dans Tzigane (1924) de Ravel. Baglini se fait ensuite accompagnateur d’Adina Aaron, premier prix de la première édition des «Voice masters» en 2005: confondant Poulenc avec Puccini, la soprano américaine transforme Les Chemins de l’amour (1940), mélodie écrite pour Yvonne Printemps, en une bouillie surchargée de vibrato; le texte est à peine plus compréhensible dans «Summertime» extrait de Porgy and Bess (1935) de Gershwin.
Venait ensuite le tour des valeurs consacrées, fidèles à Gaveau, pour la plupart, depuis de nombreuses années. Né en 1945, Herman van Veen demeure cependant encore peu connu dans nos contrées, malgré des millions de disques vendus – comme un autre violoniste néerlandais – et bien que son talent ait été salué par Georges Moustaki… et Samuel Beckett. Avec la guitariste Edith Leerkes, ce doux rêveur offre une parenthèse rafraîchissante et un aperçu de ses multiples talents: auteur-compositeur, chanteur baragouinant comme le cuisinier suédois du Muppet show, falsettiste parodiant a cappella les conventions de l’opéra, fiddler tapant du pied, pianiste singeant une certaine musique contemporaine, bruiteur tentant d’imitant la flûte de pan.
Retour à des valeurs sûres avec Jean-Marc Luisada dans trois Nocturnes de Chopin: l’opus posthume en ut dièse mineur (1830) et les deux premiers de l’opus 9 (1831), nullement alanguis, même presque vifs, non exempts d’une certaine raideur qui n’empêche pas le chant de la main droite de se déployer avec une suprême distinction. Dans le Trio (1914) de Ravel, créé à Gaveau comme Tzigane, le Trio Wanderer fournit une brève démonstration de sa classe, avec le seul Pantoum, aérien et fantastique, voire inquiétant.
Christina Pluhar et son ensemble L’Arpeggiata amènent ensuite un vent de folie: Anna Dego entre en transe en tentant de se délivrer de la morsure de la tarentule, puis Lucilla Galeazzi fait reprendre aux spectateurs les «dididindi» de son fameux Voglio una casa. Et Philippe Jaroussky sidère une fois de plus, dans deux registres pourtant fort différents: le Lamento de l’Eraclito amoroso de Barbara Strozzi, fascinant par la plastique de son phrasé et par sa précision, mais aussi un «swing baroque» dont on se dit qu’il lui autoriserait la carrière qu’un Gérard Lesne a eue avant de se consacrer à ce répertoire… Toujours dans un genre décalé, Juliette – qui, elle, voici quelques années, avait réussi à transformer le plateau… en garage – recourt à la quarte augmentée, diabolus in musica, pour évoquer un Eternel féminin qui a effectivement tout du démon.
Le déroulement des festivités ayant conservé les deux pépites pour la fin, Inva Mula ramène une tonalité plus angélique avec une autre… Juliette, celle des Capulets et Montaigus (1830) de Bellini, en son air du premier acte «O queste volte»: une leçon de chant, malgré quelques aigus un peu voilés… et, juste avant d’entrer en scène, une lampe halogène qui éclate dans sa loge. De Fernando Obradors (1897-1945), elle chante avec panache Las Coplas de Curro Dulce, extrait premier des quatre volumes de Canciones clasicas espanolas édités par ce Canteloube catalan.
Le crescendo soigneusement préparé par les organisateurs trouve son aboutissement avec l’annonce de la venue de Martha Argerich et Nelson Freire, saluée par des murmures de satisfaction. Les deux pianistes parviennent presque à conférer de l’intérêt au Concertino (1953) de Chostakovitch, elle fantasque et mordante comme à son habitude, lui souple et à l’écoute, tout aussi fidèle à lui-même. Deux extraits de Ma mère l’oye (1910) de Ravel concluent comme sur un nuage: Laideronnette, impératrice des pagodes virevolte à une incroyable vitesse – et quels glissandi sur les touches noires! – mais Le Jardin féerique va encore plus loin dans la délicatesse et la poésie. Qui aujourd’hui peut atteindre une magie aussi exceptionnelle dans cette œuvre, véritable apothéose de ces deux heures et cinquante minutes de spectacle?
Tous les artistes sont réunis, non pas pour une photo souvenir, mais pour assister au laborieux – beaucoup des numéros tirés au sort par Fanny Clamagirand n’avaient semble-t-il pas été attribués – résultat de la tombola: Martha Argerich trouve le temps long, Juliette gagne le service à café, qu’elle remet en jeu illico, la représentante de France 3 remporte un lot et les nuits d’hôtel à Monte-Carlo, le magnum de champagne, les produits d’épicerie fine ainsi que le sac à main en python trouvent également preneur. Ambiance de bazar, un rien surréaliste alors que minuit approche, avec un Alain Duault métamorphosé, ainsi qu’il l’observe lui-même, en bonimenteur. Mais longue vie, quand même, à Gaveau et à ses artistes, bien sûr.
Le site de la Salle Gaveau
Le site des «Masters» de Monte-Carlo
Simon Corley
|