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Sous une bonne étoile Paris Opéra-Comique 12/13/2007 - Et les 14*, 16, 17, 19, 20, 22 & 23 décembre Emmanuel Chabrier : L'Etoile Stéphanie d’Oustrac (Lazuli), Jean-Luc Viala (Ouf Ier), Anne-Catherine Gillet (Laoula), Jean-Phlippe Lafont (Siroco), Christophe Gay (Hérisson), Blandine Staskiewicz (Aloès), François Piolino (Tapioca)
Monteverdi Choir, Orchestre Révolutionnaire et Romantique, sir John Eliot Gardiner (direction)
Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff (mise en scène)
Opéra comique ? Un genre, un répertoire, une maison. Voilà ce que Jérôme Deschamps veut faire revivre. L’Etoile était donc un bon choix, qui engage la salle Favart dans une nouvelle direction, en réalité un très attendu retour aux sources. Choix délicat au demeurant : l’opéra bouffe de Chabrier – comme ceux d’Offenbach – n’est pas un opéra bouffon, il a ses subtilités. Opérette ? opéra au second degré aussi, avec sa dose de parodie, que goûtait sans doute davantage le public de l’époque, qui y retrouvait son répertoire. A manier, en tout cas, avec délicatesse. Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff l’ont bien compris : pas d’outrance, pas de grotesque, de la fantaisie, de la légèreté, pour préserver un esprit. En accord parfait avec la musique surtout, à mille lieues du Regietheater qui s’est, plus d’une fois, emparé d’Offenbach.
Aux couleurs vives, bariolées de la partition de Chabrier répondent celles des costumes et du décor de Macha Makeïeff, dont l’exotisme de fantaisie récuse à la fois la reconstitution et l’actualisation. Ouf Ier a beau éprouver des jouissances à voir un condamné supplicié par le pal, il n’aura pas l’air d’un sinistre dictateur de nos temps modernes. Ce que l’on verra ne sera rien d’autre que ce que musique et texte nous disent. L’Etoile restera une leçon de vie et de bonheur. Et le texte, Dieu merci, n’a pas fait l’objet de tripatouillages à la Agathe Mélinand. La tour de l’astrologue, qui ressemble à la fois à son chapeau et au pal, est moins une menace qu’un clin d’œil. On est entre la satire politique, le conte pour enfants faussement naïf et le roman pour jeunes filles : les choristes paraissent d’ailleurs sortis d’un pensionnat anglais bon chic bon genre des années soixante, où l’on jette sa gourme dans le twist. Les mouvements, en effet, sont très chorégraphiés, comme dans une revue. Mais ce qui pourrait rappeler les spectacles présentés autrefois à Mogador ou au Châtelet garde une dimension intimiste, à l’image de l’œuvre. Reprochera-t-on au couple l’insertion de numéros de comédiens, avec cet Arlequin qui double le Roi et ces Deschiens qui resurgissent ? Non, car ils ne cassent pas le rythme du spectacle. Certains feront remarquer – avec raison - qu’ils se répètent plus qu’ils ne se renouvellent, qu’ils reprennent des procédés éprouvés – avec succès – dans leur Enlèvement au sérail aixois (voir ici), à commencer par la tour, passée seulement de droite à gauche. Disons qu’on préférera retenir le souriant alliage entre le loufoque et le sérieux, le rêve et la réalité, le respect et la distance.
Musicalement, c’est plutôt de haut vol, à deux exceptions près. Stéphanie d’Oustrac s’égare en Lazuli, qu’elle joue pourtant parfaitement, très crédible en travesti, victime d’une émission raide, d’aigus mal assurés, trop marquée peut-être par la déclamation baroque, où elle excelle, ne sachant pas phraser, sans charme et sans esprit, à des lieues de ce qu’exige ce genre d’ouvrage. Jean-Luc Viala a tous les tics du mauvais ténor d’opéra – ce qui, paradoxalement, gâche la parodie d’opéra italien dans le duetto de la chartreuse verte – mais, ayant moins à faire, passe à peu près son chemin. Anne-Catherine Gillet, en revanche, chante à ravir Laoula, d’une voix fraîche et fruitée, homogène et souple, parfaitement conduite, évitant ce qui pèse ou qui pose, s’avérant ici un authentique soprano d’opéra comique. Non moins parfait est Jean-Philippe Lafont dans le rôle surtout parlé de Siroco : tout en finesse, un rien mélancolique, presque résigné à mourir, allégeant heureusement sa voix dans les passages chantés. Les rôles secondaires, trop fréquente pierre d’achoppement des ouvrages légers, n’ont pas été sacrifiés : on n’aurait guère pu trouver meilleurs Aloès, Hérisson et Tapioca que Blandine Staskiewicz, Christophe Gay et François Piolino.
Mais la production ne serait pas ce qu’elle est sans l’orchestre et le chœur. Il faut pourtant passer sur une certaine sécheresse de la sonorité – ne nous demandons pas si les instruments d’époque s’imposaient ici – et une certaine tendance à privilégier le brillant, sinon le bruyant, avant de saluer le travail effectué avec gourmandise par sir John Eliot Gardiner : plus encore qu’à Lyon en 1984, il fait jaillir tous les sucs et ressortir toutes les épices de la musique de Chabrier, imprimant au spectacle un rythme irrésistible, nous offrant en prime, avant le bref troisième acte, une Joyeuse marche savoureuse, sachant aussi s’attendrir un peu dans les passages plus lyriques. Quant au Chœur Monteverdi, il pourrait bien nous avoir donné les plus beaux moments de la soirée, remarquable d’homogénéité, d’articulation et de nuances.
Nous voilà rassurés sur l’avenir de l’Opéra-Comique.
Didier van Moere
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