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Triste et terne Trouvère Zurich Opernhaus 12/02/2007 - et les 5, 9, 12*, 16, 20, 23, 26, 29 décembre 2007, 2 et 6 janvier 2008
Giuseppe Verdi: Il Trovatore
Cristina Gallardo-Domas (Leonora), Luciana D'Intino (Azucena), Liuba Chuchrova (Ines), Marcelo Alvarez (Manrico), Leo Nucci (Il Conte di Luna), Giuseppe Scorsin (Ferrando), Miroslav Christoff (Ruiz), Kai Florian Bischoff (Un vecchio zingaro), Deniz Yilmaz (Un messo)
Chœur de l’Opernhaus de Zurich (préparation: Jürg Hämmerli), Orchestre de l’Opernhaus, direction musicale: Adam Fischer. Mise en scène: Giancarlo del Monaco, décors: Peter Sykora, lumières: Hans-Rudolf Kunz
On le sait, le Trouvère est un de ces opéras truffés d’invraisemblances, les unes plus incroyables que les autres. Mais on aimerait pouvoir dire à Giancarlo del Monaco, l’artisan de cette nouvelle production à l’Opernhaus de Zurich, que ce ne doit pas être une raison pour faire n’importe quoi avec le chef-d’œuvre de Verdi. Le metteur en scène italien a conçu en effet un spectacle à ranger sans hésitation dans le tiroir de ce qui se fait de pire aujourd’hui sur les scènes lyriques. Alors que l’ouvrage est un hymne à la fougue et à la passion, del Monaco en livre ici une version triste et terne, sans flamme, au sens figuré comme au sens propre d’ailleurs, car le feu est très curieusement absent, il n’est même pas suggéré pendant le chœur d’entrée des bohémiens. Sur un plateau nu et sombre enveloppé successivement par la brume, la neige et la pluie, défilent, au gré des tableaux, nombre d’objets métalliques: une canalisation, un grillage, un réverbère ou un pont, avec de longues pauses pour les changements de décor. Le spectacle mélange allègrement les époques (le premier tableau se situe au Moyen-Age, avec des soldats armés de lances et de boucliers, alors que les suivants sont intemporellement gris, se déroulant «des siècles plus tard», à en croire les surtitres) et les styles (les bohémiens forment une bande de loubards en vestons de cuir et ont trouvé refuge dans les égouts, les sbires du comte font penser à un clan mafieux, avec costumes, chapeaux et lunettes noires, alors que Léonore ne quitte jamais une robe du soir rouge, même pendant la scène du couvent). Del Monaco voudrait-il nous dire que la guerre, sous quelque forme que ce soit, est une constante de l’histoire? Impossible en fait de tirer la moindre clé de la représentation, étant donné que la caractérisation des personnages est tout simplement inexistante, le spectacle se bornant à une simple mise en place. Il ne reste plus qu’à espérer que ce ratage complet ne fera pas l’objet de reprises.
On l’aura compris, les seules satisfactions de la soirée sont à chercher dans la musique. Mais plutôt auprès des chanteurs que dans la fosse, car si Adam Fischer s’efforce de ciseler les détails de la partition, il en perd la vue d’ensemble, privant la soirée de tension dramatique. Par ailleurs, ses tempi souvent très rapides mettent à mal les solistes et les choristes. Le directeur de l’Opernhaus, Alexander Pereira, aura au moins eu la main heureuse en réunissant une distribution digne d’éloges. Certes, Léonore n’est peut-être pas le rôle le mieux adapté aux moyens actuels de Cristina Gallardo-Domas, qui souffre manifestement dans les passages dramatiques, mais qui offre de beaux moments dans les pages lyriques de la partition. Même si l’éclat et le timbre de sa voix accusent le poids des ans, Leo Nucci n’en reste pas moins un comte de Luna impressionnant de vigueur et de maîtrise stylistique. Marcelo Alvarez est un Manrico idéal, au timbre de velours et aux aigus rayonnants, avec des élans passionnés dans la composition du personnage. Dommage seulement qu’il préfère ne pas répéter Di quella pira. Quant à Luciana d’Intino, son Azucena est tout simplement époustouflante. Avec des moyens vocaux impressionnants, qui n’ont pas apparemment pas de limites, la mezzo italienne campe à la fois une mère terriblement émouvante et une fille passionnément éprise de vengeance, du tout grand art!
Claudio Poloni
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