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Violonistes compositeurs Paris Hôtel national des Invalides 12/10/2007 - Leos Janacek : Quatuor n° 1 «Sonate à Kreutzer»
Lucien Durosoir : Quatuor n° 2 (création)
Georges Enesco : Quintette avec piano, opus 29
Quatuor Diotima: Naaman Sluchin, Yun-Peng Zhao (violon), Franck Chevalier (alto), Pierre Morlet (violoncelle) – Cyril Huvé (piano)
Renouvelé de moitié depuis deux ans, le Quatuor Diotima semble toutefois avoir déjà retrouvé un bel équilibre avec Naaman Sluchin et Yun-Peng Zhao alternant aux pupitres de premier et second violons, ceux d’alto (Franck Chevalier) et de violoncelle (Pierre Morlet) demeurant en revanche inchangés. Il enregistrera très prochainement pour Alpha les deux Quatuors de Janacek: un choix a priori peu original – car il faut se réjouir que ces œuvres appartiennent désormais au grand répertoire – mais qui n’en est pas moins prometteur. En effet, non seulement les musiciens complèteront ce disque par la version alternative pour viole d’amour du Second «Lettres intimes», mais ils ont décidé de travailler sur la nouvelle édition Bärenreiter, dont l’apport est plus particulièrement significatif s’agissant précisément de ce Second quatuor.
Surtout, au-delà de ces considérations textuelles, leur interprétation vaut la peine d’être découverte, si l’on en juge, en ouverture de ce concert, par le Premier «Sonate à Kreutzer» (1923). Plutôt que de se contenter de souligner la rugosité et la fougue du propos, approche sans nul doute efficace que retiennent la plupart des formations, les Diotima en donnent une lecture atypique, superbement détaillée et servie par une irréprochable qualité instrumentale. Plus pensée et construite qu’instinctive, cette vision d’une remarquable souplesse, parfois même langoureuse, n’est pas pour autant figée, ouvrant des perspectives poétiques nouvelles et inattendues.
Avant même Janacek, les Diotima graveront dès la semaine prochaine les trois Quatuors de Lucien Durosoir (1878-1955), toujours pour Alpha, qui a déjà publié l’intégrale de sa musique pour violon et piano. De son côté, l’association «Musiciens entre guerre et paix», dont l’activité est par ailleurs dédiée à Maurice Maréchal et à André Caplet, s’attache à éditer ses partitions (diffusées par Symétrie), tandis que l’ouvrage «Deux musiciens dans la Grande Guerre» (Durosoir et Maréchal), paru en 2005 chez Tallandier, a contribué à mieux faire connaître le nom de celui qui, avant de participer, avec le père de l’école française de violoncelle, au «quintette du général» (Mangin), fut premier violon à l’Orchestre Colonne, créa en France les Concertos de R. Strauss et N. Gade. Elève de Tournemire et Caplet, il ne se lança dans l’écriture qu’en 1920, à l’âge de quarante-deux ans, ayant corrélativement renoncé au poste de premier violon à l’Orchestre symphonique de Boston pour constituer en une trentaine d’années un catalogue riche d’une quarantaine de pièces. Toutefois, la modestie et l’éloignement délibéré de Paris, mais aussi la Seconde Guerre mondiale puis la maladie expliquent que la plupart d’entre elles soient restées inédites et n’aient même jamais été jouées.
C’est donc en première mondiale, et en présence du fils et de la belle-fille du compositeur, que le public a pu entendre le Deuxième quatuor (1922). Antérieur d’un an au Premier quatuor de Janacek, il n’a nullement à rougir de ce rapprochement chronologique: bien loin de se complaire dans un postfranckisme rassurant, le langage apparaît résolument personnel, tant les échos de Ravel ou de Roussel que l’on peut y percevoir ici ou là s’évanouissent aussitôt apparus. Ces trois mouvements d’une durée de plus de vingt-cinq minutes se caractérisent par un contrepoint dense, n’éludant pas les frottements harmoniques, et par un climat inquiet, n’offrant que de rares éclaircies. Même la Berceuse centrale n’apporte que peu de sérénité, se concluant avec une fantomatique mélodie de l’alto en harmoniques sur des pizzicati des trois autres instruments. Toutefois, malgré une indéniable énergie et un style peu suspect de complaisance, le discours, donnant l’impression d’évoluer de manière plus rhapsodique que structurée, ne parvient pas à éviter quelques longueurs.
Le Quintette avec piano (1940) d’Enesco – violoniste compositeur de la même génération que Durosoir, disparu huit mois avant lui – pose le même type de difficultés, d’autant que Cyril Huvé apparaît quelque peu en retrait de la prestation des Diotima. Cela étant, la manière dont Enesco, dans la lignée de son Octuor, édifie ces immenses architectures dont il a le secret – en l’espèce, un flux d’une demi-heure interrompu à une seule reprise, entre les deuxième et troisième mouvements – n’en demeure pas moins fascinante: un éventail expressif complet, de la mélancolie au courage, de la légèreté à la force, de l’errance à l’ironie, à peine coloré par quelques inflexions nationales mais mis en valeur par une sensibilité et un raffinement de chaque instant ainsi que par une audace qui a peu à envier à Bartok ou aux Viennois (Berg, Zemlinsky).
Le site de «Musiciens entre guerre et paix»
Le site du Quatuor Diotima
Le site de Cyril Huvé
Simon Corley
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