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Beautés et pièges d'un chef-d'œuvre

Strasbourg
Opéra National du Rhin
11/10/2007 -  et les 13 novembre 20 h, 15 novembre 20 h, 18 novembre 15 h, 20 novembre 20 h; Colmar Théâtre Municipal 25 novembre 15 h; Mulhouse Théâtre de la Sinne 2 décembre 15 h, 4 décembre 20 h
Wolfgang Amadeus Mozart : Idomeneo
Kobie van Rensburg (Idomeneo), Sébastien Droy (Idamante), Sophie Karthäuser (Ilia), Mireille Delunsch (Elettra), Roger Padullés (Arbace / Gran Sacerdote), Nicolas Testé (La Voce)
Cordelia Huberti (pianoforte), Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Theodor Guschlbauer (direction)
François de Carpentries (mise en scène), Siegfried Mayer (scénographie), Karine Van Hercke (costumes), Thierry Fratissier (lumières)


Physionomie relativement inhabituelle pour cette nouvelle production d’Idomeneo puisque c’est essentiellement la version tardive de l’ouvrage, dite «de Vienne», qui a été choisie. On sait que Mozart a remanié sa partition à l’occasion d’une représentation viennoise de 1786, aménagements dont le résultat le plus visible est l’attribution du rôle d’Idamante non plus à une voix de mezzo-soprano (la création munichoise avait été assurée par un castrat) mais à un ténor, configuration d’une crédibilité dramatique supérieure, du moins pour nos sensibilités modernes. Par ailleurs Mozart a rajouté à sa partition quelques splendides passages, dont l’air d’Idamante avec violon solo obligé «Non piu tutto ascoltai… Non temer amato bene», dont on n’a évidemment pas envie de se priver. Cela dit à tenter de concilier les beautés des deux versions en retenant un maximum de musique, on se résigne aussi à quelques cumuls un peu lourds, qui font paraître encore plus longs certains passages déjà inertes dramatiquement. Des raideurs que l’on accepterait en définitive mieux dans le vrai contexte de convention «seria» que l’incarnation d’Idamante par une mezzo-soprano matérialise inévitablement. Ici l’ouvrage, magnifique, on ne le répètera jamais assez, paraît encore davantage en porte-à-faux entre deux époques. Mais aucune solution n’étant idéale on apprécie au moins de pouvoir écouter dans leur intégralité des passages essentiels, dont la version la plus longue du terrifiant « Fuor del mar » d’Idomeneo, l’air K.490 déjà cité, le terrible « D’Oreste d’Aiace»d’Elettra… ce d’autant plus que la distribution choisie se révèle dans l’ensemble à la hauteur des difficultés de la partition.


En tenant compte des aléas climatiques et des virus qui ont décimé les chanteurs peu avant la première (quelques enrouements initiaux en témoignent encore) l’affiche est en effet brillante. Mireille Delunsch n’évite pas quelques accidents (dont des ratages catastrophiques au cours de son dernier air), mais reste une Elettra d’une présence scénique et vocale exceptionnelle. D'abord un peu gêné aux entournures dans le rôle d’Idamante, Sébastien Droy trouve ensuite une projection plus naturelle. Son grand air, escorté par un violoniste inspiré, se révèle dès lors à la hauteur de nos attentes. Aucun problème en revanche pour Kobie van Rensburg, qui confirme qu’il est bien le grand titulaire du rôle d’Idomeneo de notre époque, triomphant de tous les escarpements techniques avec la même irradiante musicalité. Et le troisième ténor n’est pas en reste : c’est à juste titre qu’on a laissé chanter au moins un air à l’Arbace du jeune Roger Padullés, doté d’un timbre clair immédiatement intéressant. Enfin Sophie Karthaüser, après elle aussi de petits problèmes d’échauffement, accomplit des miracles de musicalité dans le rôle d’Ilia, dont un vibrant et sensible « Zeffireti lusinghieri », influencé de façon patente par les exigences d’expressivité du chant baroque, encore que sans aucune affectation.


Mais c’est certainement Theodor Guschlbauer, de retour à l’Opéra du Rhin après de longues années d’absence, qui marque ce nouvel Idomeneo d’une empreinte décisive, obtenant de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse une netteté d’attaques, une aisance des premiers pupitres et une constante sensation d’aération qui rendent méconnaissable cette phalange parfois modeste. La matité désagréable de la fosse assèche cruellement la pâte, cela dit on assiste quand même à une grande soirée mozartienne et non simplement à un spectacle entaché de contingences sonores ingérables, comme cela peut malheureusement arriver assez souvent à l’Opéra du Rhin. Par ailleurs la lisibilité de la gestique, l’attention accordée au soutien des chanteurs et la précision rythmique de la battue de Theodor Guschlbauer sont de véritables modèles, au service d’un sentiment d’urgence dramatique jamais artificiellement souligné par des tics expressifs ou de prétendues trouvailles de phrasé greffées sur le texte. En cette période d’éclatement du style mozartien, chacun semblant autorisé à décliner des textes musicaux archi-connus en fonction de ses convictions esthétiques de l’instant, une démonstration aussi irréprochable de conscience professionnelle et de compétence mérite d’être acclamée.


Scéniquement, on s’attendait peut-être à davantage d’originalité, en sachant toutefois qu’une mise en scène équilibrée d’Idomeneo est difficile à réussir, et qu’en la matière les ratages ont été largement majoritaires. Même les meilleurs ou réputés tels (Nikolaus Lehnhoff, Ursel et Karl-Ernst Herrmann…) n’y ont pas vraiment convaincu, la folie décorative baroque mise en place par Jean-Pierre Ponnelle restant peut-être à ce jour l’expédient le plus efficace.


Or c’est sans doute du côté décoratif que cette nouvelle production pêche le plus : tout inscrire dans la section d’un coquillage en spirale géant n’est pas une mauvaise idée, mais cette surabondance de hautes parois cylindriques finit par enfermer le plateau dans un carcan (acoustiquement favorable) dont les personnages parviennent difficilement à s’échapper. La direction d’acteurs paraît constamment à l’étroit, moins par manque d’espace réel que par l’absence d’arrière-plan visuel, avec à la clé l’impossibilité de faire vivre le spectacle par davantage d’effets optiques. Quand la direction d’acteurs s’essouffle, reste la possibilité d’animer artificiellement par la présence de quelques accessoires (dont un jet d’eau étique assez mal venu) voire une figuration maladroite. Les costumes très divers, certains jolis, d’autres quelconques, habillent en particulier assez mal le chœur (très bien chantant), d’une uniformité vestimentaire qui accentue des disparités physiques parfois caricaturales. Rien d’indigne, donc, et même quelques beaux mouvements de masse qui semblent bien travaillés, mais rien de bien passionnant non plus. Le véritable intérêt de cette production d’Idomeneo reste sa musique, et de ce côté là au moins ce chef-d’œuvre est très bien servi.



Laurent Barthel

 

 

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