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Plus jamais caressée… Saint-Etienne Grand Théâtre Massenet 11/09/2007 - et les 11 & 13 novembre Jules Massenet : Ariane Cécile Perrin (Ariane), Barbara Ducret (Phèdre), Anne Pareuil (Perséphone), Inge Dreisig (Cypris), Florence Vinit (Eunoé), Patricia Schnell (Chromis), Luca Lombardo (Thésée), Cyril Rovery (Pirithoüs), Marco di Sapia (le Chef de la nef, Phereklos), Patrice Khalhoven (le Récitant)
Orchestre Symphonique et Chœur Lyrique de Saint-Etienne, Laurent Campellone (direction)
Jean-Louis Pichon (mise en scène)
Elle est belle, cette Ariane de Massenet. Créée en 1906 – un an avant Ariane et Barbe-Bleue de Dukas – à l’Opéra, où elle fut fort bien reçue, reprise en 1937 avec Germaine Lubin et Georges Thill dirigés par Paul Paray – la chorégraphie étant confiée à Serge Lifar –, elle a ensuite disparu de l’affiche. On ne félicitera donc jamais assez le neuvième Festival Massenet de l’avoir exhumée à Saint-Etienne. Ce dernier, malheureusement, reste pour beaucoup le compositeur de Manon, de Werther et de Thaïs, comme s’il n’avait rien écrit ensuite. Rien n’est plus faux pourtant et les opéras composés après 1900 méritent une réhabilitation, le plus représenté restant sans doute Don Quichotte. Un nouveau Massenet s’y fait jour, plus moderne dans sa déclamation, plus raffiné encore dans son instrumentation, pas si loin parfois d’un Debussy – dont le Pelléas date de 1902 : il suffit de comparer l’air des roses de Manon et celui de Perséphone. Ariane, en effet, témoigne de cette évolution, même si le grand opéra à la française, renouvelé par l’apport du wagnérisme, y côtoie la tradition gluckiste, alors que l’introduction de l’acte des enfers signale un héritier de Berlioz. En d’autres termes, il ne faut pas situer Massenet dans l’histoire d’un opéra français daté, mais l’intégrer au grand mouvement de renouveau de la musique française après 1870, pour lui faire une place aux côtés de Chausson, de d’Indy ou de Dukas.
L’histoire emprunte évidemment au mythe antique. Thésée, aidé par Ariane à vaincre le Minotaure, ne peut résister à la passion qui l’entraîne vers Phèdre. Cette dernière, torturée par sa mauvaise conscience, brise la statue d’Adonis, mais meurt écrasée par ses débris. Ariane va la chercher aux Enfers, Thésée et Phèdre, reconnaissants, promettent d’écouter la voix du devoir. Celle du désir est pourtant plus forte et Ariane, « si blessée et jamais plus caressée », répondant à l’appel des Sirènes, se jette dans la mer. Jugé parfois ampoulé et désuet, le texte de Catulle Mendès est surtout typique d’une certaine littérature fin de siècle, de sa rhétorique convenue, de son retour à une Antiquité fantasmée et de son érotisme capiteux.
Il faut, pour cette Ariane, ce qu’on appelle de grandes voix, capables de tenir la distance pendant presque trois heures. Lucienne Bréval et Louise Grandjean, la première Ariane et la première Phèdre, chantaient aussi bien Valentine des Huguenots que Brünnhilde de La Walkyrie : deux sopranos dramatiques à la française, héritières du falcon. Lucien Muratore, le premier Thésée, chantait à la fois des Grieux ou Werther, le Duc de Mantoue, Radamès ou le Walther des Maîtres Chanteurs. On n’a pas eu le sentiment, à Saint-Etienne, qu’ils soient ressuscités. Usée par des emplois trop lourds qui ont élimé son timbre, Cécile Perrin peine un peu à assumer les difficultés du rôle, mais elle résiste jusqu’au bout, incarnant un Ariane noble et touchante, nous offrant, dans la scène finale, un moment de grâce, couronnée par un très beau la aigu pianissimo. Barbara Ducret, qui fut naguère à Saint-Etienne la Salomé française de Strauss, se trouve dans une situation plus dangereuse encore : le rôle de Phèdre est constamment tendu, à l’image des tourments de sa conscience coupable, lançant, au troisième acte, des imprécations dangereusement situées dans le passage, plus redoutables encore que celles d’Ortrud. Massenet, d’ailleurs, demandait là un « soprano dramatique ». Trop jeune sans doute pour affronter une telle épreuve, la chanteuse a du mal à souder ses registres, à maîtriser parfaitement une voix malmenée ; mais elle aussi résiste jusqu’au bout. Un Luca Lombardo de meilleurs jours, en revanche, malgré des aigus parfois laborieux, s’identifie avec aisance au vainqueur du Minotaure, grâce à une émission claire et souple qui permet à la voix, pourtant plus lyrique qu’héroïque, de se projeter parfaitement. Aucun des autres rôles n’est sacrifié, ce qui devrait être le cas de toute distribution. Cependant, plus que la Perséphone d’Anne Pareuil, on se rappellera le Pirithoüs vaillant, au timbre clair, à l’articulation exemplaire, de Cyril Rovery, à qui on reprochera cependant une certaine tendance à ouvrir les aigus, ou le Phereklos de Marco di Sapia, un ancien du CNIPAL, beau baryton à la voix charnue et riche en harmoniques. A la tête d’un chœur remarquablement préparé et d’un orchestre qu’il ne cesse de faire progresser, Laurent Campellone montre une fois de plus sa capacité à faire revivre une œuvre oubliée et difficile, grâce à une direction aussi théâtrale que raffinée, qui permettait de mesurer toute la science orchestrale de Massenet.
Jean-Louis Pichon a heureusement évité le piège de la reconstitution décorative, préférant faire d’Ariane une authentique tragédie antique se déroulant dans un théâtre grec. Il a ainsi confié à une sorte de coryphée, au début de chaque acte, la récitation des didascalies de Mendès, que déclame Patrice Kahlhoven avec une emphase tout à fait dans l’esprit du texte. La vision du metteur en scène est fidèle à ses intentions, sobre, épurée, osant juste ce qu’il faut de pittoresque stylisé, notamment dans le passage de la tempête du deuxième acte ou dans l’acte des enfers, qui baigne dans les vapeurs sombres du Tartare.
La production est donc, malgré les faiblesses des deux héroïnes, d’une belle homogénéité. Merci pour cette Ariane enfin ressuscitée.
Didier van Moere
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