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Pâté d’alouette

Paris
Salle Pleyel
11/09/2007 -  
Alexandre Scriabine/Alexandre Nemtine : Acte préalable (création française)

Susan Narucki (soprano), Hakon Austbo (piano)
Noord Nederlands concertkoor, Louis Buskens, Leendert Runia (chefs de chœur), Noord Nederlands orkest, Michel Tabachnik (direction)


Parallèlement à l’exposition «Richard Wagner, visions d’artistes (d’Auguste Renoir à Anselm Kiefer)» qui se tient au Musée de la musique du 25 octobre au 20 janvier, la Cité de la musique propose du 3 au 10 novembre un cycle «Visions wagnériennes (Les influences de Richard Wagner de 1850 à nos jours)». La Cité s’étant vu confier depuis septembre 2006 la gestion et la programmation de la Salle Pleyel rénovée, la venue, dans le cadre de ce cycle, de l’Orchestre des Pays-Bas du Nord (NNO, sis à Groningue) et de Michel Tabachnik, qui en est le chef-dirigent depuis septembre 2005, mobilise pour deux soirées consécutives la salle du Faubourg Saint-Honoré puis celle de la Porte de Pantin: deux programmes rares, comprenant des œuvres animées par des préoccupations mystiques, cosmogoniques et démiurgiques.


Ainsi la Salle Pleyel accueille-t-elle d’abord la création française de l’Acte préalable de Scriabine. Si le compositeur russe, comme tant d’autres, a été influencé par Wagner, c’est ici sa manière de faire sienne l’idée de Gesamtkunstwerk (œuvre d’art totale) et de concevoir un macrocosme à la mesure du Ring qui justifie pleinement la programmation de cet objet musical sui generis dans le cadre de cette série de concerts autour du maître de Bayreuth. En effet, comme le suggère son titre, cet Acte préalable n’est que le «résumé», complété par un poème de plus de mille vers, de cet immense Mystère qu’il voulait mettre sur pied, visant à retracer l’histoire de l’univers et de l’humanité en mobilisant à cette fin toutes les perceptions sensorielles: poésie, danse, musique, arts plastiques, architecture, symphonie de lumières et de couleurs – une voie déjà ouverte par le «clavier de lumières» de Prométhée, le Poème du feu (voir ici) –, «orgue à parfums» et même caresses.


C’est donc seulement en «version de concert» que l’Acte préalable est présenté au public parisien: une aventure qui n’en a pas moins réussi à remplir environ les deux tiers de Pleyel et même à attirer Pascal Dusapin. Mais indépendamment de l’absence de caresses, le spectateur subit une autre frustration, en découvrant que de ces près de deux heures trente de musique, Scriabine, disparu en 1915 à l’âge de quarante-trois ans, n’a écrit que cinquante-trois pages d’esquisses. Celles-ci ont été mises en forme par Alexandre Nemtine (1936-1999), qui a mené à bien ce projet en plus d’un quart de siècle, structurant en trois parties ce vaste projet: Univers (1971), Humanité (1980) et Transfiguration (1996). Son travail, dont l’éclairante note de Denis Steinmetz ne dissimule pas qu’il relève davantage de la composition que de la reconstitution, n’a connu sa première exécution complète qu’en 1997, sous la direction de Leif Segerstam, Vladimir Ashkenazy, qui avait créé la troisième partie l’année précédente, en ayant ensuite gravé l’intégrale pour Decca.


L’ambition du Mystère était d’ordre nietzschéen: destiné à être donné dans un temple bâti pour l’occasion, il devait provoquer rien moins que la fin du monde, l’Humanité étant alors remplacée par des êtres supérieurs… Un mélange de drame et de rite qui devait durer sept jours et sept nuits: difficile de ne pas penser, dès lors, à une autre quasi-utopie, Licht de Stockhausen, mais aussi, aux marges de la métaphysique, de l’extravagance et du délire, aux recherches de figures originales de la musique telles que Satie ou Feldman.


La réalisation reprend à peu près l’agencement de Prométhée: piano concertant, orgue, chœur mixte, soprano solo (dans les deux dernières parties) et, bien entendu, orchestre de format postromantique (bois par quatre, et même cinq flûtes, cors et trompettes par huit, trois trombones, tuba, timbales, six percussionnistes, deux harpes, célesta et cordes, soit plus de cent musiciens). Mais les deux Symphonies et la musique pour piano de Nemtine étant totalement inconnues, même au disque, la crainte était que la montagne n’accouche d’une souris.


L’effectif – chœur vocalisant sans texte, piano tour à tour soliste et fondu dans l’orchestre – fait parfois songer à Daphnis et Chloé (en particulier la bacchanale sauvage qui conclut la deuxième partie) ou à la Turangalîla-Symphonie, mais force est de reconnaître que malgré une instrumentation plus lourde que celle de son modèle, le pastiche est généralement assez réussi: les harmonies chargées, le tempérament fiévreux et languissant de l’auteur du Poème de l’extase sont bien là. Il est vrai qu’outre les esquisses susmentionnées, Nemtine s’est par ailleurs fondé sur des pièces pour piano tardives (Huitième sonate, ultimes recueils de Danses et de Préludes), que Scriabine comptait apparemment intégrer dans son magnum opus.


La question que ne manquent pas de poser des entreprises d’une telle ampleur peut toutefois difficilement être évitée: pourquoi cent cinquante minutes et non pas quinze ou trente minutes? Tout au long des trois parties, chacune d’un seul tenant, la nécessité de ces alternances de cataclysmes et de pages hypnotiques, de paroxysmes et de doux mélismes, ne paraît pas toujours évidente et la lassitude menace régulièrement de s’installer. Il faut donc sans doute en retenir avant tout une façon de rendre hommage au côté exceptionnel de l’expérience rêvée par Scriabine.


Mais les interprètes tiennent le choc de la durée: dominant une gigantesque partition surlignée de bleu et de rose, Michel Tabachnik, visiblement toujours animé par la quête d’un idéal spirituel et récemment nommé par ailleurs directeur musical de l’Orchestre de la Radio flamande (VRO) avec lequel il s’était déjà produit à la Cité de la musique en mai 2006 (voir ici), le pianiste Hakon Austbo, scriabinien de longue date, et la soprano Susan Narucki, qui, placée dans la tribune aux côtés du Chœur de concert des Pays-Bas du Nord, peine cependant trop souvent à dominer l’ensemble.


Le site de l’Orchestre des Pays-Bas du Nord



Simon Corley

 

 

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