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En attendant Feldman

Paris
Cité de la musique
09/22/2007 -  et 21 septembre 2007 (Frankfurt)
Morton Feldman : neither (création française)

Anu Komsi (soprano)
hr-Sinfonieorchester, Emilio Pomarico (direction)


Du 12 septembre au 28 décembre, le Festival d’automne à Paris cultive, comme de coutume, la pluridisciplinarité: danse, théâtre, cinéma, arts plastiques et, bien entendu, musique. En cohérence avec la thématique de cette trente-sixième édition, les compositeurs du Moyen-Orient seront à l’honneur, grâce à L’Instant donné et au Nieuw Ensemble à l’Amphithéâtre Bastille. On pourra par ailleurs entendre quatre oeuvres de Jörg Widmann et, au Musée d’Orsay, un concert monographique dédié à Xavier Dayer mais aussi Hugues Dufourt interprété par François-Frédéric Guy, ou bien un concert de l’Ensemble Modern Orchestra et Pierre Boulez à Pleyel, l’Ensemble contemporain dirigé par Susanna Mälkki au Centre Pompidou et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris avec Sylvain Cambreling à Bastille.


L’inauguration du volet musical de ces manifestations consistait en la création française de neither (1977) de Morton Feldman, déjà à l’honneur trois ans plus tôt au Festival d’automne avec ce qui fut la première en France de son monumental Second quatuor (voir ici): un événement qui a suscité une belle affluence à la Cité de la musique, où l’on aura notamment pu reconnaître Kaija Saariaho.


Si le XXe siècle a créé le concept d’«opéra minute», c’est ici de «livret minute» qu’il est question: dix lignes (soit en tout quatre-vingt-six mots) de Samuel Beckett, dépourvues de la moindre ponctuation. La rencontre entre un compositeur réticent à mettre des textes en musique et un écrivain qui, pour reprendre l’injonction célèbre de Victor Hugo, ne voulait point que l’on dépose de la musique sur ses vers paraissait improbable, d’autant que l’un comme l’autre n’ont jamais caché leurs réserves, pour ne pas dire leur aversion pour le genre lyrique.


Mais comme Feldman et Beckett n’en étaient pas à une provocation près, va donc pour un «opéra en un acte»… commandé par l’Opéra de Rome et donné ici en «version de concert» (!): chanteuse en fond de scène, parmi les percussions, sur une estrade dominant un orchestre plongé dans la pénombre. Feldman fait sien le monologue (?) de Beckett, dont la signification (éventuelle) est totalement oblitérée par une prosodie monosyllabique, presque constamment dans le suraigu. De la forme traditionnelle, il a retenu, comme pour mieux la détourner, la soprano (colorature) et le (grand) orchestre. Mais la révérence s’arrête à ces apparences, car la soliste intervient de façon intermittente – rien à voir, évidemment, avec La Voix humaine ou même Erwartung – et sa partie, souvent sur une même note ou autour d’une même note, tient davantage de l’incantation que de la mélodie.


«Ni l’un, ni l’autre» (neither), car la discontinuité prévaut également dans la fosse, si l’on ose dire: fidèle à son style, Feldman juxtapose de courtes sections au sein desquelles un procédé, un accord, une note sont répétés ad nauseam, le plus souvent de façon lente et obsessionnelle. Comme de coutume chez lui, la durée n’est au fond qu’un élément secondaire: un peu plus d’une heure, en l’espèce, mais son langage a le don de perturber la perception de l’écoulement des minutes.


Les textures sont recherchées et raffinées, mais ne visent jamais à séduire: à la manière de Webern, dont Feldman partage le caractère économe, l’effectif instrumental, assez imposant, n’est jamais mobilisé pour son potentiel de décibels, mais pour obtenir des combinaisons insolites de timbres. Les différents pupitres sont toutefois généralement employés de manière conventionnelle, sans les «effets spéciaux» contre-nature d’un Lachenmann, par exemple, mais leur fonction traditionnelle n’en est pas moins méticuleusement remise en cause: ainsi, les percussions perdent-elles quasiment tout rôle rythmique, contribuant en revanche à la couleur d’ensemble, par les trilles des timbales, cymbales et gongs, qui dépassent rarement le mezzo forte.


Cet immobilisme un tantinet exaspérant, cette façon un rien visqueuse de ressasser, ce sentiment que ce qui va se passer est sans cesse retardé et n’aboutit finalement jamais, même si les dernières pages semblent s’acheminer vers une sorte de pathos – tout est relatif – conviennent parfaitement à l’univers métaphysique de Beckett, certes parfois plus violent, mais tout aussi dépourvu d’illusions. Aux confins du silence, «ni l’un ni l’autre» (neither), c’est le néant, même plus le temps, aboli par un discours qui en suspend le déroulement normal: «that unheeded neither», «ce ni l’un ni l’autre non perçu».


Simple théâtre d’ombres de l’indicible ou expression de la judéité retrouvée du compositeur? Les interprétations suggérées par l’intéressante notice de Laurent Feneyrou distribuée au public laissent fort justement planer le doute: malgré quelques toux embarrassées et embarrassantes, car l’essentiel de la soirée est placée sous le signe du pianissimo, la majorité des spectateurs semble en tout cas y trouver son compte.


Sans filet, ou presque, Anu Komsi bénéficie de sa familiarité avec ce répertoire de l’extrême, stoïquement soutenue par Emilio Pomarico à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio de Hesse (Francfort): une formation qui a déjà enregistré l’opéra en 1990 chez hat ART et qui reviendra dès le 19 octobre au Théâtre des Champs-Elysées pour un programme Brahms avec celui qui en est le directeur musical depuis 2006, Paavo Järvi, le futur patron de l’Orchestre de Paris.


Le site du Festival d’automne à Paris
Le site de l’Orchestre de la Radio de Francfort



Simon Corley

 

 

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