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La grenouille de la fable Chaise-Dieu Abbatiale 08/22/2007 - Franz Liszt : Les Préludes
Alexandre Borodine : Danses polovtsiennes du «Prince Igor» (extraits)
Frédéric Devreese : Benvenuta (Suite)
Nikolaï Rimski-Korsakov : Shéhérazade, opus 35
Anima eterna, Jos van Immerseel (direction)
Après avoir investi avec succès le terrain baroque et classique, les formations sur instruments d’époque se sont alors lancées dans la conquête de la période romantique. On comprend que le niveau atteint dans ce répertoire par l’Orchestre révolutionnaire et romantique de Gardiner ou par l’Orchestre des Champs-Elysées d’Herreweghe ait pu susciter des vocations, mais les expériences comparables ne se révèlent malheureusement pas toutes aussi abouties.
Ainsi, Anima eterna, fondé en 1987 par le pianiste anversois Jos van Immerseel, a-t-il d’abord établi sa renommée parmi ces nombreux ensembles de petite dimension qui ont donné un coup de jeune au classicisme et au premier romantisme. Il s’est ensuite étoffé afin de pouvoir se consacrer à des œuvres postérieures, qui requièrent généralement des effectifs plus importants. Le programme qu’il a offert à La Chaise-Dieu a hélas permis de constater que ce changement de dimension n’a pas procuré un résultat satisfaisant: la grenouille (de chambre) a échoué, du moins pour l’instant, à vouloir se faire aussi grosse qu’un bœuf (symphonique).
Tradition et modernité ne cessent désormais de se confronter durant le festival: un concert à l’abbatiale ne saurait effectivement débuter sans un bref prélude au grand orgue, mais c’est Ligeti, avec Coulée (1969), la seconde de ses Etudes, typique par ses répétitions et décalages, qui résonne sous les doigts de Shin-Young Lee. Une fois de plus, force est de déplorer le brouhaha inqualifiable dans lequel se déroulent ces «levers de rideau», les conversations d’avant-spectacle ne s’éteignant que progressivement durant le morceau. Les organisateurs devront sans doute réfléchir à la mise en place d’un «signal» grâce auquel le public, qui ne voit pas l’organiste rejoindre la tribune mais qui apprécie particulièrement ce moment, pourrait comprendre qu’il convient de faire silence.
La soirée se poursuivait avec un autre grand Hongrois, mais Anima eterna aura peiné à montrer ce qu’une formation ayant adopté des «instruments d’époque» peut apporter aux Préludes (1848/1854) de Liszt. En effet, quelques attaques mordantes ne compensent pas des bois à la justesse aléatoire et des cordes bien maigres (trente-trois exécutants, dont huit premiers violons), créant de sérieux problèmes d’équilibre entre les pupitres, d’autant que l’acoustique très réverbérée, produisant des tutti épais, ôte une grande partie de l’intérêt inhérent à un effectif restreint: bref, une façon fort fâcheuse de cumuler les inconvénients d’une grande phalange symphonique et ceux d’une structure de petite taille. Jos van Immerseel, quant à lui, confond absence de pathos et indifférence, parvenant à susciter l’ennui dans cette partition d’habitude si flamboyante et contrastée.
La perspective d’entendre la Totentanz de Liszt en ce lieu célèbre pour sa danse macabre, fresque peinte du XVe siècle, était stimulante, mais Rian de Waal, empêché par de graves «raisons familiales», n’a finalement pu venir l’interpréter sur un piano Erard de 1886 appartenant à la collection d’Immerseel. Des extraits des Danses polovtsiennes du Prince Igor (1879) de Borodine sont proposés à titre de compensation: les musiciens semblent y prendre davantage de plaisir et leur sonorité inhabituelle, verte et râpeuse, ne disconvient pas à la sauvagerie de ces évocations hautes en couleur.
Après Ligeti, la musique de film: décidément, les choses bougent à La Chaise-Dieu… Car le compositeur belge Frédéric Devreese (né en 1929) s’est principalement fait connaître comme le collaborateur attitré de son compatriote le cinéaste André Delvaux: il a ainsi écrit une musique pour Benvenuta (1983), dont il a tiré une Suite. Si l’on perçoit mal la nécessité de confier ces quatre mouvements à un orchestre utilisant des instruments... du XIXe – le caractère langoureux de Rêves pâtit d’ailleurs du manque de velouté des cordes –, les trois danses qui suivent (Habanera, Valse et Tango) cultivent un style détraqué et grinçant, d’une plaisante efficacité. Nullement avant-gardistes, ces pages ne perturbent pas autant les spectateurs que Baroque song d’Escaich la veille et un accueil chaleureux est donc réservé à leur auteur, présent pour l’occasion.
En seconde partie, Shéhérazade (1888) de Rimski-Korsakov, dont Anima eterna a pourtant effectué un enregistrement paru en 2005 chez Zig Zag Territoires, confirme et amplifie les difficultés rencontrées auparavant dans Les Préludes. Certes peu suspecte de se complaire dans des excès sirupeux, la direction fade, placide et raide d’Immerseel ôte toute saveur au propos et déçoit même par son incapacité à assurer une cohésion digne de ce nom. En outre, rares sont les pupitres (clarinettes, cuivres) qui ne flottent pas dans l’approximation – violoncelle solo jouant faux, hautbois à la dérive, mais aussi premier violon acide et imprécis de Midori Seiler – de telle sorte que l’on songe parfois à l’Ouverture du «Vaisseau fantôme» telle que déchiffrée par un mauvais orchestre de kiosque près des thermes à sept heures du matin de Hindemith.
Le Tango de Devreese est repris en bis: Immerseel lance la rose qui lui a été remise au moment des rappels, saisie au vol avec brio par la première flûte, fait mine de diriger les premières mesures puis va s’asseoir sur le côté, derrière les altos. Une manière certes élégante de mettre en valeur ses musiciens, mais qui conduit en même temps à s’interroger rétrospectivement sur ce concert, auquel un véritable chef aura décidément fait défaut.
Le site d’Anima eterna
Le site de Frédéric Devreese
Simon Corley
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