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Un portrait déroutant…

Paris
Cité de la musique
10/14/1998 -  et 28, 29 octobre 1998
Pierre Boulez : Sonatine, Anthèmes 2, Dérive 1, Dérive 2, Eclat/Multiples, Improvisations sur Mallarmé I & II, Incises, Sur Incises, …explosante-fixe…
George Benjamin : Viola, Viola
Bela Bartok : Sonate n°2 pour violon et piano
György Kurtag : Messages de feu demoiselle R. V. Troussova

Rosemary Hardy, Valdine Anderson (sopranos)
Ensemble Intercontemporain, Pierre Boulez (direction)

Le panorama d'une oeuvre, même sélectif, permet, normalement, de "faire le point", de mettre à jour quelques certitudes. Mais des certitudes, sur Pierre Boulez, on en a peut être trop justement, alors faisons plutôt quelques hypothèses.

Hypothèse 1 : Et si Pierre Boulez était un compositeur prolifique ? Des clichés affirment que son oeuvre dépasserait à peine deux heures, mais les sept pièces présentées lors de ces trois soirées approchent déjà les trois heures, et il en reste encore tant ! De plus, Anne-Sophie Mutter nous affirme qu'il écrit un concerto pour violon et Daniel Barenboïm un opéra. Son oeuvre semble s'engendrer toute seule, par dérivation ou ramifications successives : Anthèmes 2 est la version pour électronique d'Anthèmes, pour violon, Dérive 2 prolonge dans l'urgence le presque nonchalant Dérive 1, Sur Incises (pour 3 pianos, 3 percussions, 3 harpes) amplifie Incises (pour piano). Bientôt on le trouvera trop prolixe…

Hypothèse 2 : Et si Pierre Boulez était un compositeur d'une infinie variété de style ? Tenu pour le héraut du sérialisme le plus pur confinant à une monotone obscurité, les sept œuvres présentées lors de ces trois soirées présentent pourtant une très grande diversité d'écriture. Les ornementations diaboliques et hypnotiques de Incises (pour piano) feraient frémir n'importe quel baroqueux, la rigueur formelle (lisible sans être simple) ainsi que la sérénité et le détachement d'Anthèmes 2 évoquent Jean-Sébastien Bach (ne hurlez pas les gardiens du temple !), quoi de commun entre la fluidité sensuelle de Dérive 1 et la tension cristallisant le temps musical et l'espace sonore dans Eclat/Multiples ? Bientôt on le trouvera déroutant…

Hypothèse 3 : Et si Pierre Boulez était un tendre ? La prédilection pour les percussions, l'écriture très éclatée et laconique donnent une image de sévérité, de dureté (renforcée par le personnage lui même, austère quand il dirige, cassant lorsqu'il intervient dans la presse). Mais qu'y a t il de plus sensible que Improvisations sur Mallarmé I & II dans lesquels une soprano explore toute la fragilité et la finesse de la voix humaine ? Les percussions qui accompagnent cette voix (où celles d'Eclat/Multiple également) interviennent moins comme ponctuation, comme bornes scandant le discours que comme halo multicolore, images sonores, lignes musicales d'une souplesse rare. Bientôt on le trouvera lyrique…

Hypothèse 4 : Et si Pierre Boulez était un hédoniste ? L'hypothèse semble osée pour celui qui passe pour un idéologue à l'écriture calculée, un homme de pouvoir et d'institution. Mais sa fascination pour le son démultiplié, transfiguré, "virtualisé", le "matériau" comme il dit froidement (pour masquer son jeu) semble sans limite. D'une pièce pour piano de cinq minutes (Incises), il prend un plaisir furieux - et communicatif - à en faire une vaste composition de 38 minutes pour trois percussions, trois harpes et trois pianos où la virtuosité est élevée au rang de grand art. Un hédonisme qui lui fait même parfois perdre la rigueur de son écriture : la dernière partie de …explosante-fixe…, "Originel", dont on connaissait une version antérieure, d'une tranchante beauté, pour flûte et quelque instruments, devient, avec une autre flûte, un ensemble plus étoffé et l'électronique, plus floue, la forme se délite et la tension disparaît, même si de nouvelles sonorités apparaissent. Bientôt on le trouvera voluptueux…

On pourrait donc, après ces concerts, trouver Pierre Boulez prolixe, déroutant, lyrique et voluptueux… Un portrait déroutant s'il en est, comme si ce panorama n'avait finalement servi qu'à brouiller les cartes, mais n'est ce pas plus intéressant que des certitudes figées ?



Philippe Herlin

 

 

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