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A Montpellier, Evgeny Kissin plus déroutant qu’inspiré Montpellier Opéra Berlioz-Le Corum 07/17/2007 - Franz Schubert : Sonate en mi bémol majeur, opus 122, D. 568
Ludwig van Beethoven : Trente-deux Variations sur un thème original en ut mineur, WoO 80
Johannes Brahms : Klavierstücke, opus 118
Frédéric Chopin : Andante spianato et grande polonaise brillante en mi bémol majeur, opus 22 Evgeny Kissin (piano) C’est depuis longtemps chose établie : pas de festival de Radio France et Montpellier sans Evgeny Kissin, toujours assuré de son triomphe. Il n’empêche : son récital, cette année, commence mal. La Sonate en mi bémol de Schubert se reconnaît à peine, tant elle est décomposée, déstructurée, sophistiquée, le pianiste russe s’attachant exclusivement – et narcissiquement – à creuser des sonorités en oubliant la forme, incapable de saisir la musique dans sa continuité et de créer ainsi une atmosphère, manquant surtout totalement de naturel – le Menuet est à peine supportable. Les Variations de Beethoven lui conviennent infiniment mieux. On y admire d’abord une maîtrise rare des doigts et du clavier, avec une main gauche insolente de facilité. Mais la virtuosité, ici, sert l’œuvre plus qu’elle ne s’en sert : tensions et détentes, organisation formelle et sonore, sens de l’ensemble et du détail, tout y est ; la partition, brève mais redoutable, est restituée dans ses différentes dimensions, le pianiste s’y montrant à la fois architecte et poète, prouvant bien que l’œuvre doit être conçue comme un drame en plusieurs épisodes plutôt que comme un simple enchaînement de variations.
Les Klavierstücke de Brahms, malheureusement, paraissent ensuite décousus et inégaux, souffrant de se succéder trop vite, dans des tempos exagérément contrastés, oscillant entre l’athlétisme et l’afféterie, la mécanique et le chichi. Autant l’Intermezzo en la mineur ou la Ballade en sol mineur impressionnent par leur puissance, autant l’Intermezzo en la majeur, aussi déconstruit que la Sonate de Schubert, déçoit et irrite par le manque d’émotion, qui se réduit à ses signes extérieurs, à commencer par un rubato outré et creux. Cela dit, l’art des sonorités peut susciter des moments privilégiés, des ambiances oniriques, comme dans l’Allegretto grazioso médian de la Romance en fa majeur, tandis que l’ultime Intermezzo en mi bémol, joué très lentement, de façon insolite mais intéressante, baigne dans une étrangeté lunaire digne de Scriabine. L’Andante spianato et grande polonaise de Chopin, on s’en doute, brille de tous ses feux, sans que le pianiste russe trouve le secret d’un rubato allant de soi dans l’Andante ou fasse bien la différence, dans la Polonaise, entre le panache, l’élégance et la simple vélocité.
Trois bis, confirmant les impressions précédentes : un « Rêve d’amour » de Liszt aussi peu sensuel et inspiré que possible, une « Fileuse » de Mendelssohn exemplaire de limpidité dans la vélocité, une Fantaisie sur [la chanson bohème de] Carmen d’Horowitz (accommodée à la sauce Kissin) évidemment ébouriffante. On se demande à la fin si Evgeny Kissin sait bien choisir ses programmes.
Didier van Moere
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