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De quatorze à neuf

Bordeaux
Grand Théâtre
07/04/2007 -  et 5 juillet 2007
Franz Schubert : Quatuor n° 12 “Quartettsatz”, D. 703
Felix Mendelssohn : Quatuors n° 2, opus 12 (a), n° 3, opus 13 (b), n° 6, opus 44 n °3 (c), et n° 7, opus 80 (d)
Robert Schumann : Quatuor n° 3, opus 41 n° 3 (e)
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Quatuors n° 1, opus 11 (f), et n° 2, opus 22 (g)
Bedrich Smetana : Quatuor n° 1 “Z mého zivota” (h)
Johannes Brahms : Quatuors n° 2, opus 51 n° 2 (i), et n° 3, opus 67 (j)
Alexandre Borodine : Quatuor n° 2 (k)

Quatuor Alma (d): Ann-Estelle Médouze, Maud Rouchaleou (violon), Claudine Christophe (alto), Jérôme Lefranc (violoncelle)
Quatuor Voce (e): Sarah Dayan, Guillaume Becker (violon), Cécile Roubin (alto), Julien Decoin (violoncelle)
Quatuor Asasello (e): Rostislav Kojevnikov, Barbara Kuster (violon), Justyna Sliwa (alto), Andreas Müller (violoncelle)
Quatuor Galitzin (b): Pedro Meireles, Catrin Win Morgan (violon), Felix Tanner (alto), Ken Ichinose (violoncelle)
Quatuor Atrium (g): Alexey Naumenko, Anton Ilyunin (violon), Dmitry Pitulko (alto), Anna Gorelova (violoncelle)
Quatuor Brodowski (h): David Brodowski, Andreï Gocan (violon), Alexandros Koustas (alto), Vanesse Lucas-Smith (violoncelle)
Quatuor Sacconi (i): Ben Hancox, Hannah Dawson (violon), Robin Ashwell (alto), Cara Berridge (violoncelle)
Quatuor Nador (i): Gyula Gabora, Nandor Farkas (violon), Gyula Mohacsi (alto), Marcell Vamos (violoncelle)
Quatuor Matangi (a): Maria-Paula Majoor, Daniel Torrico (violon), Karsten Kleijer (alto), Arno van der Vuurst (violoncelle)
Quatuor Quiroga (a): Aitor Hevia, Cibran Sierra (violon), Lander Etxebarria (alto), Helena Poggio (violoncelle)
Quatuor Collegium (k): Kirill Sharapov, Taras Yaropud (violon), Andriy Chop (alto), Yuriy Pogoretsky (violoncelle)
Quatuor Rubens (c): Quirine Scheffers, Sidonie Riha (violon), Roeland Jagers (alto), Joachim Eijlander (violoncelle)
Quatuor Vis à Vis (f): Tatiana Pavlova, Elena Zhitikhina (violon), Elena Guseva (alto), Oksana Zyablikova (violoncelle)
Quatuor Benaïm (j): Yaïr Benaïm, Alexandra Greffin (violon), Myriam Guillaume (alto), Cédric Conchon (violoncelle)


Se tenant pour la cinquième fois dans la cité girondine, le Concours international de quatuor à cordes de Bordeaux, toujours sous la direction à la fois efficace et élégante d’Alain Meunier, possède, depuis ses débuts à Evian en 1976, une riche histoire: non seulement une présidence qui fut confiée, dix ans durant, à Mstislav Rostropovitch, à la mémoire duquel l’équipe organisatrice a souhaité dédier cette édition, mais, au fil des vingt-deux précédents millésimes savoyards puis aquitains, un palmarès exceptionnel qu’il est toujours agréable de rappeler: Takacs, Prazak, Cherubini, Amati, Hagen, Sine Nomine, Vogler, Ysaÿe, Keller, Belcea, Psophos...


Pour cette dernière session biennale – le rythme deviendra ensuite triennal, en alternance avec les concours de Londres et de Reggio Emilia, les deux années “creuses” devant être dédiées à un nouveau festival au mois de mai –, le jury des praticiens est présidé par la violoniste américaine Sylvia Rosenberg. Il comprend des personnalités aussi bien françaises – la violoniste Sylvie Gazeau et le directeur de ProQuartet, Georges Zeisel – qu’étrangères – l’altiste israélien Tasso Adamopoulos, le Néerlandais Stefan Metz (qui fut le violoncelliste du Quatuor Orlando) et les musiciens du Quatuor Vermeer. Outre un premier et deuxième prix, il est appelé à décerner des distinctions parrainées par diverses institutions (Société Générale pour l’enregistrement d’un disque, Ministère de la culture et de la communication, SACEM, Association des amis de Mozart et des maîtres classiques de Paris). Un jury de la critique musicale remettra quant à lui un prix de la presse et les lauréats se verront tout naturellement proposer des engagements en France (Besançon, Colmar, Musée d’Orsay, ProQuartet, Sceaux, ...) ainsi qu’en Europe (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas et Suisse).


Comme de coutume, les épreuves bénéficient du cadre privilégié et de l’excellente acoustique du Grand Théâtre: l’entrée étant libre, le public bordelais a largement profité de l’occasion qui lui est ainsi offerte de découvrir la future élite du genre roi de la musique de chambre. Quinze participants étaient annoncés, mais, suite à la défection des Leonis (France), dont trois des musiciens avaient concouru en 2005 sous le nom d’Estevès, ils sont finalement au nombre de quatorze, contre douze seulement lors de la précédenté édition: trois Britanniques, trois Français, deux Néerlandais, deux Russes, un Espagnol, un Hongrois, un Ukrainien et un Suisse. Parmi eux des “revenants” – les Matangi et les Rubens, qui ont respectivement concouru en 2003 et en 2005 – et même d’anciens lauréats, à savoir les Sacconi, qui ont remporté en 2005 le prix de la meilleure interprétation des Moments musicaux de Kurtag.


Etalée sur trois demi-journées, la première épreuve consistait en l’interprétation de deux œuvres: d’une part, soit l’unique mouvement (“Quartettsatz”) du Douzième quatuor (1820) de Schubert, soit – autre partition restée inachevée – les ultimes Andante et Scherzo (opus 81) de Mendelssohn; d’autre part, un quatuor “à caractère romantique choisi dans la période comprise entre 1830 et 1890”. Toutes les formations en compétition ont opté pour Schubert côté “figures imposées”, mais Mendelssohn s’est largement rattrapé côté “figures libres”, puisqu’il a été sélectionné à cinq reprises (encore que ses deux premiers quatuors de maturité, les opus 12 et opus 13, soient légèrement antérieurs à 1830), auxquelles on pourrait même ajouter les deux occurrences du Troisième quatuor de Schumann, qui lui est dédié... Une orientation résolument “XIXe”, écartant des monuments tels que Haydn ou Beethoven – qui s’étaient révélés particulièrement sélectifs en 2005 – mais aussi tout le XXe siècle, et confirmée par le programme de la finale (Schubert et l’inattendu – mais splendide – Quatuor de Lalo), les périodes classique et contemporaine étant néanmoins représentées au cours de la deuxième épreuve, avec respectivement Mozart et une commande passée à Nicolas Bacri.


Mercredi après-midi: Atrium dans la cour des grands


Le Quatuor Alma s’est déjà fait un nom, du moins en France, depuis près de sept ans qu’il a été constitué: l’âge de raison approche-t-il? Son Schubert manque en tout cas de corps, jouant davantage de la finesse que de l’engagement. Ce parti pris prévaut pareillement dans l’opus 80 de Mendelssohn, plus hargneux et énergique que porté par un véritable élan: la tension retombe trop souvent et l’homogénéité, avec une “charnière centrale” (second violon et alto) très en retrait, fait réellement défaut.


Formé en 2004, déjà couronné à Genève (deuxième prix en 2005) et à Crémone, le Quatuor Voce, autre ensemble français, a également travaillé avec les Ysaÿe. On ne pourra pas dire que leur enseignement ne laisse pas s’exprimer la personnalité de chacun, car la manière des Voce se révèle très différente de celle des Alma: un discours plus affirmé, une urgence plus marquée mais aussi une variété d’expression, une prise de risque et une liberté plus importantes en témoignent dans Schubert. De même, le Troisième quatuor (1842) de Schumann, dense et fougueux, aux climats très contrastés, bénéficie d’une sonorité plus riche et plus ronde.


Se présentant dans une disposition originale (les deux violonistes et l’altiste jouent debout), le Quatuor Asasello, constitué en Suisse en 2000, a opté pour le même programme que les Voce. Stimulé par l’indéniable leadership de son premier violon, il donne un Schubert illustrant une belle qualité instrumentale et un remarquable sens collectif. Plus rapide que celui des Français, son Schumann trahit quelques faiblesses individuelles et, surtout, des accents trop appuyés, une certaine raideur et un manque de naturel.


Issu de la Royal academy of music, le Quatuor Galitzin débute par l’opus 13 (1827) de Mendelssohn: une page ouvertement inspirée du Quinzième quatuor que Beethoven avait dédié au prince russe dont la formation britannique a tiré son nom. La musique s’épanouit dans un large éventail de nuances rendant justice à la versatilité du propos, avec cependant une tendance à confondre vitesse et précipitation. Spectaculaire et dramatique, voire extérieur, leur Schubert confirme les difficultés d’intonation du premier violon.


Créé en 2000, premier grand prix et prix du public au Concours de Londres en 2003, le Quatuor Atrium se range ainsi parmi les favoris. Les musiciens russes déçoivent toutefois dans un Schubert chargé d’intentions, aux effets grossis et procédant par à-coups. Mais ils défendent avec une conviction exubérante le rare Deuxième quatuor (1874) de Tchaïkovski, dont ils restituent toute l’ampleur symphonique: une forte identité, au son parfois déroutant, que l’on n’a pas souvent l’occasion de rencontrer dans les concours.


Deuxième groupe britannique en compétition, le Quatuor Brodowski n’a que deux ans d’âge, et même moins d’un an dans sa présente formation. Lent, d’une justesse approximative, son Schubert n’est pas sauvé par un Premier quatuor “De ma vie” (1874) de Smetana manquant de punch, trop appliqué, imprécis et prosaïque, où il n’est jamais question de vie et de mort.


Jeudi matin: Retrouvailles


Parmi les trois concurrents de la matinée, deux se sont déjà présentés à Bordeaux. C’est d’abord le cas du Quatuor Sacconi, lauréat en 2005 (cf. supra), et qui, entre-temps, a obtenu un deuxième prix à Londres en 2006. Les Britanniques débutent par un Deuxième quatuor (1873) de Brahms de très bonne facture, sage, plus pâle et rhétorique qu’expansif ou passionné, cette réserve et ce manque d’élan s’expliquant peut-être par le souci d’assurer que privilégient certains candidats dans une telle compétition. Leur Schubert se caractérise par davantage de rebond, mais également quelques maniérismes.


Le tirage au sort en a ainsi décidé: la veille, deux quatuors s’étaient succédé dans le Troisième de Schumann tandis que cette fois-ci, la comparaison pouvait immédiatement porter sur le Deuxième de Brahms, également choisi par le Quatuor Nador. Associés depuis 2004, les Hongrois commencent par Schubert, techniquement moins au point, mais frappant par sa tension et sa puissance. Leur Brahms possède davantage de couleur, de vigueur et de volume que celui des Sacconi, avec des attaques plus franches et une respiration plus spontanée, traduisant une affinité avec le style de celui qui a parfois été qualifié de plus grand des compositeurs... hongrois.


Fondé en 1999, le Quatuor Matangi, qui a pris le nom d’une déesse indienne dotée de quatre bras et d’un luth enchanteur, apparaît donc comme le “vétéran” du concours, auquel il a déjà participé en 2003. Obéré par les invraisemblables minauderies du premier violon, le Schubert laisse heureusement la place à l’opus 12 (1829) de Mendelssohn, nettement mieux venu, même si l’ensemble pâtit de la précision irrégulière du premier violon et si la raison prédomine sans doute excessivement sur le charme, malgré encore quelques ralentis intempestifs.


Jeudi après-midi: le niveau monte


Après la pause de midi, le Quatuor Quiroga, créé en 2004 et prix spécial à Genève en 2006, fait d’emblée sensation dans le même programme que les Matangi. Pourtant, le Schubert des Espagnols, malgré un incontestable volontarisme, sonne acide et faux. Mais c’est dans l’opus 12 de Mendelssohn qu’ils convainquent pleinement: grâce à de fortes individualités (premier violon, violoncelle), ils lui confèrent plus de fraîcheur et d’enthousiasme, avec un ambitus dynamique et expressif plus large, se montrant ainsi plus fidèles à l’esprit de cette partition de jeunesse.


Entièrement masculin comme le Quatuor Nador, le Quatuor Collegium, constitué en 2003 à Kiev, suscite également un intérêt soutenu: non seulement les Ukrainiens sont les premiers à respecter la reprise dans le Quartettsatz de Schubert, mais ils en font ressortir les contrastes de façon très marquée, au prix de quelques faiblesses instrumentales. Dans le Second quatuor (1881) de Borodine, leur jeunesse et leur spontanéité font merveille, une verdeur qui produit ici ou là quelques embardées, mais dont le côté revigorant voire abrupt emporte l’adhésion, avec un Notturno sensible et intense, sans affectation ni pathos, et un Finale étonnamment rapide, où les archets claquent haut et fort, animés par une inlassable énergie.


Formé en 2000, deuxième prix du Concours Tromp aux Pyas-Bas (2004), troisième prix à Prague (2005) et à Graz (2006), le Quatuor Rubens a pris part à la précédente édition bordelaise, à l’occasion de laquelle il s’était qualifié pour la deuxième épreuve. Observant également la reprise dans Schubert, les Néerlandais s’illustrent par une belle sonorité d’ensemble et une remarquable cohésion. Ils défendent ensuite vaillamment l’opus 44 n° 3 de Mendelssohn: le discours va toujours de l’avant, sans grande originalité, dans une vision impeccablement maîtrisée et servie par une mécanique qui fonctionne parfaitement, nonobstant quelques petites imprécisions du premier violon: difficile, au demeurant, de mettre davantage d’émotion dans une œuvre qui n’atteint pas toujours les sommets des opus 12, opus 13 et opus 80.


100% féminin, le Quatuor Vis à Vis, bien qu’apparu en 2004, ne travaille dans sa présente formation que depuis 2006. Cela s’entend hélas, car les Russes sont à la peine dans Schubert, avec des timbres aigres, une sonorité étriquée, une justesse souvent prise en défaut et un manque rédhibitoire de mordant. Dans le Premier quatuor (1871) de Tchaïkovski, leurs bonnes intentions, notamment perceptibles dans le fameux Andante cantabile, se heurtent à nouveau à une réalisation très imparfaite.


Les Alma avaient ouvert la marche le mercredi, et c’est à une autre formation française qu’il revenait – position à peine plus confortable – de conclure la première série d’épreuves en cette fin d’après-midi du jeudi. Déjà nanti d’un troisième prix au Concours de l’ARD (Munich) en 2005, le Quatuor Benaïm confirme son statut de candidat très sérieux avec un Troisième quatuor (1876) de Brahms de haute tenue technique et artistique, tant dans sa joyeuse santé champêtre, quasi mozartienne, que dans sa séduction et ses demi-teintes très Mitteleuropa. Solide, d’une belle plénitude de sonorité, cette prestation s’achève sur un Schubert très rapide (et avec sa reprise), le plus saisissant et le plus effrayant de ces trois demi-journées, sans jamais abandonner pour autant une qualité instrumentale de premier ordre.


Jeudi soir: le verdict


Le jury ayant décidé d’éliminer les Quatuors Asasello, Galitzin, Brodowski, Matangi et Vis à Vis, neuf formations, comme en 2005, s’affronteront au deuxième tour dans un des dix derniers quatuors de Mozart (au choix) et dans le Septième quatuor “Variations sérieuses” commandé pour l’occasion à Nicolas Bacri.


Le site du Concours international de quatuor à cordes de Bordeaux



Simon Corley

 

 

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