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La violence de Britten Paris Athénée – Théâtre Louis-Jouvet 06/26/2007 - et 27, 28, 29, 30 juin (Paris), 29 septembre (Caen) 2007 Benjamin Britten : The Rape of Lucretia, opus 37
Anna Wall*/Letitia Singleton (Lucretia), Ugo Rabec (Collatinus), Wiard Witholt*/Vladimir Kapshuk (Junius), Igor Gnidii*/Bartlomiej Misiuda (Tarquinius), Cornelia Oncioiu (Bianca), Elisa Cenni*/Elena Tsallagova (Lucia), Marie-Adeline Henry*/Yun Jung Choi (Female Chorus), Vincent Delhoume*/Johannes Weiss (Male Chorus)
Ensemble de Basse-Normandie, Neil Beardmore (direction musicale)
Stephen Taylor (mise en scène), Laurent Peduzzi (décors), Nathalie Prats (costumes), Christian Pinaud (lumières)
En coproduction avec l’Opéra national du Rhin, l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris propose cinq représentations du Viol de Lucrèce (1946) de Britten à l’Athénée (Théâtre Louis-Jouvet) qui, en coréalisant ce spectacle, confirme qu’il s’est imposé comme l’un des lieux où se fait, dans divers registres, l’actualité lyrique dans la capitale. Certains des jeunes artistes en formation à l’Atelier lyrique avaient déjà eu l’occasion de se confronter à un opéra de chambre de Britten, puisqu’ils avaient présenté des extraits du Songe d’une nuit d’été en février dernier à Garnier (voir ici).
Stephen Taylor avait assuré la mise en scène de cette adaptation, en fait volontairement réduite à un simple «travail théâtral», mais pour ce Viol de Lucrèce, il a pu disposer de moyens plus importants. Sa vision de l’œuvre est inspirée par une ligne directrice indéniablement cohérente: transposant l’action durant la Seconde Guerre mondiale, ce cauchemar dont venait de sortir le pacifiste résolu qu’était Britten, il insiste en outre sur la dimension politique de l’action – la volonté d’émancipation des Romains face aux Etrusques. Cette approche trouve sa traduction dans les costumes de Nathalie Prats, majoritairement militaires, et dans le décor pivotant de Laurent Peduzzi: deux pans de murs perpendiculaires, d’un rouge intense qui n’annonce rien de bon, plongés dans une pénombre déprimante par les éclairages de Christian Pinaud, à l’exception de la scène des fleurs au second acte.
Dès lors, le Chœur masculin et le Chœur féminin peuvent déambuler, dossier à la main, autour de leurs classeurs métalliques de sous-officiers bureaucrates tandis que Tarquinius s’affale sur son lit de camp en buvant du whisky à la bouteille ou que Lucrèce, Lucia et Bianca enroulent sagement des bandes Velpeau. Si elle ne rend pas nécessairement service à un livret qui paraît bien souvent daté ou maladroit, cette transposition chronologique n’en évoque pas moins, tant par son caractère à la fois sombre, violent et monolithique que par la raideur des mouvements des personnages, une certaine image de la tragédie antique.
Elle trouve (malheureusement) un écho dans la fosse, avec la sonorité peu avenante, sèche et rêche, de l’Ensemble de Basse-Normandie que dirige Neil Beardmore. Dans cet environnement difficile, la plupart des chanteurs tirent correctement leur épingle du jeu, à commencer par Cornelia Oncioiu (une «ancienne» – promotion 2002-2004 – de ce qui était alors le «Centre de formation lyrique»), impeccable Bianca, mais aussi Ugo Rabec, Collatinus à la projection moyenne mais disposant d’une tessiture étendue.
Deux distributions se partagent les autres rôles. Lors de la première, c’est Anna Wall qui incarne le rôle-titre, avec une tenue vocale et scénique incontestable dans les états successifs que traverse Lucrèce. A ses côtés, la Lucia d’Elisa Cenni, outre un timbre perçant, voire strident, se montre particulièrement malheureuse dans ses aigus. Du côté des hommes, la puissance ne fait défaut ni au Tarquinius tour à tour arrogant et chantant d’Igor Gnidii, ni au Junius solide de Wiard Witholt. Les parties du Chœur masculin et du Chœur féminin échoient à des Français: Vincent Delhoume est handicapé par une diction insuffisamment idiomatique, une difficulté à se mouvoir sur scène et des graves peu solides, mais Marie-Adeline Henry offre en revanche une belle prestation.
Un spectacle dont tous les aspects scéniques et vocaux ne semblent donc pas pleinement aboutis, mais qui donne cependant une (rare) occasion de voir et d’entendre cet opéra de Britten.
Le site de l’Ensemble de Basse-Normandie
Simon Corley
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